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Monge, Vandermonde et Berthollet. Au lieu de deux fonderies de canons de bronze, nous en eûmes quinze, dont le produit annuel put s’élever à 7,000 pièces. Les fonderies de canons de fer furent portées de quatre à trente, et donnèrent par année 13,000 pièces au lieu de 900. En même temps, la fabrication des bombes, des obus, des boulets, de tout le matériel d’artillerie, croissait dans une semblable proportion. Au lieu d’une manufacture d’armes blanches, il y en eut bientôt vingt, et Paris devint capable de fabriquer, avec de l’acier français, 140,000 fusils par an.

Monge était l’inspirateur et le directeur de ces travaux ; il visitait les ateliers, écrivait des notices pour l’instruction des ouvriers, et trouvait encore le temps de composer un ouvrage considérable sur l’Art de fabriquer les canons. Ajoutons que l’illustre géomètre n’était pas rétribué. Mme Monge racontait plus tard à François Arago que bien souvent son mari, au retour de ses fatigantes inspections, n’avait pour dîner que du pain sec. Il déjeunait de même ; tous les matins, à quatre heures, il quittait son logis, emportant sous le bras son déjeuner de Spartiate. Un jour que sa famille y avait ajouté un morceau de fromage, Monge s’écria : « Vous allez me mettre une méchante affaire sur les bras ; ne vous ai-je donc pas raconté qu’ayant montré la semaine dernière un peu de gourmandise, j’entendis avec beaucoup de peine le représentant Niou dire mystérieusement à ceux qui l’entouraient : « Monge commence à ne pas se gêner ; voyez, il mange des radis ! » Une autre fois, Mme Monge apprend que son mari et Berthollet ont été dénoncés ; elle court aux informations et trouve le célèbre chimiste assis tranquillement aux Tuileries, à l’ombre des marronniers. Le même avis lui est parvenu ; mais il croit savoir que rien ne se fera avant huit jours. « Ensuite, ajoute-t-il avec calme, nous serons certainement arrêtés, jugés, condamnés et exécutés. » Monge rentre ; sa femme, tout en pleurs, lui répète la terrible prédiction de Berthollet. « Ma foi, dit-il, je ne sais rien de tout cela ; ce que je sais, c’est que mes fabriques de canons marchent à merveille. » — Tous les savans de cette époque nous offrent de semblables exemples de stoïque dévoûment à la chose publique.

L’art de tanner les cuirs était long et dispendieux, et pourtant la fabrication des chaussures en exigeait immédiatement de grandes quantités. Seguin se mit avec ardeur à étudier les procédés de tannage et à faire des expériences nouvelles. Le comité de salut public lui accorda un local situé à Mousseaux pour y appliquer ses plans, qui lui permettaient d’obtenir en peu de jours des cuirs très bien tannés. Deyeux, Molard et Pelletier s’occupèrent d’opérer la refonte du papier imprimé ou écrit. Darcet, Lelièvre et Pelletier renouvelèrent l’art du savonnier, et, afin que la France pût fabriquer