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y intéresser enfin l’opinion universelle. Les grands travaux dus aux médecins eux-mêmes, les écrits du second Larrey, de Scrive, Baudens, Lévy, Boudin, Bégin, surtout les éloquentes statistiques du docteur Chenu, avec de nombreux ouvrages des savans étrangers, les écrits et les efforts d’un autre genre qui donnèrent naissance à la convention internationale de Genève et à la fondation des sociétés de secours aux blessés, enfin les faits retentissans de la guerre d’Amérique et les faits présens de la deuxième campagne de France et du siège de Paris, composent un ensemble du plus saisissant intérêt. Le conflit de l’intendance et du corps de santé, la longue querelle de la compétence contre le fonctionnarisme n’est plus qu’un détail secondaire de cet ensemble. La médecine et la chirurgie militaires, après avoir tant fait pour les sciences médicales, qui leur doivent les préceptes de l’hygiène des masses nombreuses et les principaux progrès de l’art des opérations, ont donné de nos jours la main aux sciences morales. Les médecins nous ont appris ce que coûtent les conquérans, et, après avoir fait la guerre à la mort sur les champs de bataille, ils ont dans leurs écrits déclaré la guerre à la guerre. Les sciences morales ont reconnu ce service immense en demandant bien haut pour les médecins, les chirurgiens, les infirmiers, les ambulances, une immunité spéciale, une neutralité reconnue par le droit des gens, un caractère inviolable. En même temps elles ont entendu le cri des médecins qui se plaignaient de l’insuffisance de leurs ressources sur les champs de bataille, et une armée volontaire de secours, d’humanité, d’ingénieux dévoûment, s’est levée dans toutes les nations civilisées. Un tel événement vaut la peine qu’on s’y arrête. C’est une page honorable dans l’histoire des hommes écrite en peu d’années, par des procédés tout à fait modernes.


III

Le chirurgien, pendant le combat, est l’homme de tous ; on ne doit pas tirer sur lui, et tous ceux qui tombent, sans distinction de patrie, ont droit à ses soins. C’est là une convention de droit naturel, gravée dans le cœur humain depuis qu’il y a des chirurgiens et des batailles. « Sauve Machaon, le médecin fils d’Esculape, crie Idoménée à Nestor à la fin du onzième chant de l’Iliade, car il vaut à lui seul un grand nombre de guerriers. » Sans remonter jusqu’à la guerre de Troie, ce généreux instinct et ce besoin mutuel qui font du médecin et du blessé deux êtres presque sacrés devant lesquels la violence doit s’arrêter ont souvent pris la forme d’une convention écrite. Par une coïncidence assez curieuse, les plus anciens