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l’image des objets extérieurs comme celle que nous donne notre œil, tout différemment construit. Le monde leur doit apparaître tout autre qu’à nous, par grandes masses claires et obscures ; l’abeille distingue probablement fort mal les élégans contours de la fleur dont elle suce le miel.

Cette transformation des forces naturelles en actes nerveux a toujours pour siège un amas de substance grise, ne fût-il composé que d’une seule cellule nerveuse. Est-il nécessaire d’ajouter que, quand même nous parviendrions à déterminer rigoureusement le siège de cette transformation, le fait en lui-même reste pour nous l’inconnu. Ce mot « transformation » est un à-peu-près. Les termes font nécessairement défaut pour des actes incompréhensibles, invérifiables, et dont nous avons seulement conscience. Quoi qu’il en soit, et même en faisant large la part de notre ignorance sur ce point, on peut dire que tout le fonctionnement du système nerveux, toute la vie intellectuelle se résume dans ces deux actes : transformation par la substance grise, transmission par les tubes nerveux. Un nerf excité à une extrémité communique cette excitation à l’autre extrémité, où elle revêt un caractère nouveau et purement nerveux. Cet acte à son tour en provoque plus loin un second distinct du premier, et ainsi de suite. Chaque impression du dehors est le commencement d’une série d’actes physiologiques se succédant de place en place dans le système nerveux, comme les ressauts d’une cascade, sans cesse modifiés et s’enchaînant dans un ordre spécial. Ceci est très net dans la moelle épinière, où les physiologistes ont pu déterminer de la sorte jusqu’à trois étapes successives de l’action nerveuse trois fois transformée.

Les nerfs du corps ne montent pas, comme le croyait Descartes, jusqu’au cerveau. Les impressions extérieures ne sont donc pas toutes directement transmises au siège même de l’intelligence. Les nerfs finissent à la moelle, dans un amas de substance grise, relié lui-même à son tour au cerveau par d’autres tubes. Dans cette substance grise, les impressions du dehors subissent une première transformation : elles deviennent ce que les physiologistes appellent aujourd’hui sensations inconscientes. Ceci peut très bien être établi par l’expérience ; mais les observations faites sur les décapités sont encore plus décisives. Sur ce tronc mutilé, les perceptions dont le siège n’est qu’à la tête sont bien certainement abolies ; or, si l’on vient à piquer le bras pendant sur la table, le bras se retire brusquement. Ce mouvement plus ou moins désordonné a pour origine une sensation inconsciente éveillée dans la moelle : c’est cette sensation inconsciente de la moelle qui, transmise au cerveau chez le vivant, y devient, par une transformation nouvelle, perception con-