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des perturbations qui agitent l’écorce terrestre; sous l’impulsion des forces intérieures, elles occupent, délaissent ou envahissent de nouveau les régions dont le niveau relatif s’élève ou s’abaisse. Soumises à l’influence des fleuves, attaquant elles-mêmes les rochers qui les bordent partout où viennent se briser leurs vagues, elles reçoivent, elles tamisent, elles remanient, et coordonnent en lits, en assises, en bancs plus ou moins réguliers, les débris abandonnés à leur action ; mais ces dépôts diminuent à mesure que s’affaiblit la cause qui les engendre, le calme croît avec la profondeur. Au sein de ces régions où la pensée même a de la peine à se transporter, la vie s’agite pourtant. Inconsciente d’elle-même, poussée par je ne sais quel instinct, obscure et trouble comme un rêve inachevé, elle possède encore des êtres en qui se manifestent ses pulsations; elle sait encore remuer, se nourrir et se multiplier. Cantonnée dans des espaces en apparence inaccessibles, elle a réussi à les occuper. Dante, achevant de parcourir les cercles infernaux, rencontre dans les derniers des âmes dont la vie est si précaire que la mort elle-même se distingue à peine d’une semblable existence; les deux termes contradictoires par excellence finissent par se confondre en un état indécis qui n’est réellement ni tout l’un, ni tout l’autre. — Telles sont à peu près ces régions sous-marines, où, au sein d’une profonde obscurité, aucune influence venue du dehors ne s’exerce, sinon d’une manière sourde et avec une lenteur excessive. A la surface du sol ou même dans les régions aquatiques exposées à la lumière, toutes les productions de la vie se contiennent mutuellement; mieux encore, elles profitent des moindres perturbations pour réagir les unes sur les autres, elles s’amoindrissent ou se multiplient tour à tour. Aussi tout varie d’âge en âge sur le globe; que ce soit l’homme ou le cours seul du temps qui se mette à l’œuvre, l’aspect du sol, celui de la nature animée, celui de la végétation et de tous les êtres qui tirent leur nourriture des plantes, rien de tout cela ne demeure stable. Les formes se succèdent, les instincts se modifient, les combinaisons passent, et plus il s’agit d’êtres élevés en perfection, plus ces révolutions sont rapides et complètes. C’est une loi à laquelle toute vie est soumise, en même temps que tous les êtres sont forcément solidaires entre eux; mais au fond de la mer immense, au milieu d’animaux la plupart immobiles, d’où viendrait le changement, tant que le liquide ambiant reste le même? Les altérations qui peuvent atteindre ses propriétés ne sauraient être que partielles et limitées ; les organismes auxquels s’en ferait sentir le contre-coup n’en seraient d’ailleurs affectés que dans une faible mesure, à raison même de leur infériorité. Parmi les motifs qui poussent les savans à sonder le fond des mers, il faut ranger l’espoir d’y retrouver les derniers survivans de plusieurs