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statuettes plus ou moins agréables, et ces statuettes peuvent être en argent comme en toute autre matière. L’orfèvrerie a des lois spéciales, et les Anglais ne paraissent pas soupçonner qu’il existe un rapport intime et nécessaire entre une figure et les ornemens qui l’accompagnent, que le métal peut être travaillé de façon à présenter des surfaces mates et des surfaces polies, et que le contraste qui en résulte n’est pas une chose indifférente, qu’une ciselerie sur une partie plate doit être exécutée tout autrement que si elle a l’importance d’un relief, etc. L’invention des pièces est souvent bizarre, et l’exécution est presque toujours lourde et dénuée de charme. Parfois pourtant on voit dans les vitrines un vase ou un bouclier reproduit par les procédés de l’électrotypie, et on est frappé par la belle tournure de ces ouvrages, qui jurent avec le reste; mais, quand on s’approche pour voir de qui sont ces chefs-d’œuvre de l’orfèvrerie anglaise, on y trouve le nom de Vechte ou de Morel-Ladeuil, deux artistes français qui ont apporté le concours de leur talent à l’industrie d’un autre pays.

L’art n’a pas de patrie, et, quand on est devant un chef-d’œuvre, on n’a pas besoin pour en jouir de savoir à quelle nationalité appartient l’artiste qui l’a conçu. Cependant on ne peut se défendre d’un légitime orgueil en voyant l’éclatante supériorité des hommes de son pays dans les travaux qui honorent l’esprit humain. Cet orgueil, nous l’avons éprouvé dans l’exposition internationale de Londres, non-seulement par le jugement que nous portions nous-même sur les ouvrages de nos compatriotes, mais aussi par les comptes-rendus de la presse anglaise, qui ne sont pas suspects de partialité à notre égard. Notre victoire dans la lutte du travail nous semblait comme un adoucissement à nos désastres, et, en parlant avec nos exposans de leurs projets et de leurs espérances, nous admirions la vitalité de ce peuple qui ne connaît pas le découragement parce qu’il a foi dans le travail.


RENE MENARD.