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accident. Trop souvent les convois de militaires offrent le spectacle honteux d’une foule d’hommes ivres, n’ayant plus aucun respect de leur uniforme ; grâce à la tolérance des chefs, le jour du départ devient une occasion de débauches, le prétexte de chants obscènes et de libations immodérées. Comment la discipline n’en souffrirait-elle pas ? Nous arrivâmes à la gare Montparnasse le 27 août au matin ; un brigadier des gardes de Paris attendait là pour nous conduire au fort d’Ivry, qui nous était assigné ; nous fîmes la route tout d’une traite, et à dix heures du matin nous défilions, clairons en tête, sous la poterne du fort. On se rappelle dans quel état se trouvaient alors les fortifications de Paris. Les talus s’abaissaient en pente douce jusque dans les fossés ; l’herbe y poussait drue et moelleuse, de petits sentiers rustiques serpentaient le long des courtines, offrant aux promeneurs des chemins tout tracés : là venais s’ébattre chaque dimanche la population ouvrière des faubourgs. Pendant l’été, couchés sur le gazon, les petits bourgeois de la rue du Temple ou du quartier Saint-Denis se plaisaient à consommer en famille le poulet froid et le pâté traditionnels. Des ormeaux et des marronniers agréablement plantés en quinconce prêtaient à ces festins champêtres leur ombre tutélaire. De loin en loin, et comme pour compléter le tableau, quelques pièces de canon, — ancien modèle, — allongeaient au-dessus des bastions leur gueule inoffensive. Il s’agissait de changer tout cela. Le soir même de notre arrivée, on se mit à l’ouvrage ; un millier de marins venus de Toulon nous avaient précédés de quelques jours dans le fort ; la garnison s’élevait donc à près de 1,500 hommes. On nous partagea en trois bordées ; tandis que les uns montaient la garde à la poterne et sur les murailles, les autres maniaient la pelle et la pioche, ou déchargeaient des munitions. Au bout de quelques jours, le fort offrait un tout autre aspect : les arbres avaient été coupés au pied, les talus taillés à pic s’élevaient infranchissables ; sur les courtines, des sacs à terre, disposés trois par trois en forme de créneaux, garantissaient la tête des tirailleurs ; les bastions, aménagés avec art, étaient percés de nouvelles embrasures ; les poudrières se trouvaient à l’épreuve de la bombe, et d’énormes pièces de marine, hissées à force de bras, venaient avantageusement remplacer ces vieux canons, œuvres d’art, bijoux de bronze, plus jolis que méchans. En même temps on palissadait les fossés, et des torpilles étaient semées aux alentours du fort ; des planches garnies de clous, puis recouvertes d’une faible couche de terre, devaient briser en cas d’attaque l’élan des assiégeans, et complétaient notre système de défense. Partout, sur toute la ligne des forts du sud, même hâte, même activité. Montrouge, multipliant les travaux, s’efforçait de