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leurs de lois, » ou bien encore d’une commune effrénée, tourbe sans nom de furieux, dont les monstrueux excès font pâlir les rêves sanglans des Tibère et des Néron. Pour nous, on le voit, l’homme n’est pas en cause, et, si l’on a pu accuser avec raison le dictateur que la France s’était donné de l’avoir conduite plus avant dans l’abîme, c’est qu’il était dans la logique qu’il en fût ainsi. On peut dire aujourd’hui quel était le plan à suivre pour que l’armée de la Loire fût l’armée libératrice de la France. Paris approvisionné pour deux-mois encore, il fallait former, organiser cette armée derrière la Loire et la forêt d’Orléans, et, quand elle eût été réellement organisée, la lancer par un mouvement d’ensemble dans un effort gigantesque sur toutes les routes qui conduisent à Paris. — Sur l’une d’elles, en quelque point, on eût passé. L’armée allemande, inférieure en nombre, ne pouvait les défendre toutes à la fois. — Au lieu d’une armée, au lieu de soldats, nous avions des foules et des hommes, et même avec eux, au lieu de cette action générale et de ce coup unique frappé partout à la fois, nous avons eu les combats successifs des 24 et 25 novembre : Ladon, Maizières; 28, Beaune-la-Rolande; 2 et 3 décembre, Songy et Chilleurs-aux-Bois; enfin du 6 au 25 décembre, de Beaugency au Mans, combats glorieux où la bravoure française a jeté de vifs éclats, mais qui ne pouvaient aboutir qu’à des défaites, parce que, à égalité numérique, la victoire appartient toujours à l’armée la plus aguerrie et la mieux organisée. Ces fautes eussent pu être évitées, dira-t-on. Oui, si l’on reste dans les idées abstraites; non, si l’on fait la part de la réalité, je veux dire des passions humaines. En novembre 1870, la question semblait être non pas : comment sauver la France? mais qui sauvera la France, de Paris ou du dictateur dont elle subissait la direction fatale? Le pouvoir de ce dictateur, sa gloire si l’on veut, pour être juste peut-être, n’étaient fondés qu’à ce prix; dès lors, organisée ou non, il fallait que l’armée de la Loire courût à l’ennemi. Enfin, si de ces hauteurs du pouvoir nous descendons dans les rangs pressés de la foule, que d’ambitions vulgaires, que de vanités jalouses, que d’intérêts égoïstes ne voyait-on pas à l’œuvre ! C’est que vingt ans d’un pouvoir absolu avaient tari en nous toutes les croyances généreuses, toutes les vertus rédemptrices, et que partout l’égoïsme et la lâcheté coudoyaient le dévoûment et la bravoure.

Que ce soit là le suprême enseignement de cette douloureuse histoire; puissions-nous ne jamais l’oublier, et ne chercher le remède qu’aux sources pures qui seules l’ont en elles : le culte viril de la justice, la pratique féconde de la liberté!


TH. AUBE.