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avaient faites. Ainsi la république s’est maintenue. Pour que le même régime s’établisse et subsiste en Europe, il suffirait donc que les peuples européens, dans toutes les classes de la société, acquissent des lumières aussi saines, un bon sens aussi solide, une religion aussi raisonnable que les habitans de la Nouvelle-Angleterre. Nous sommes, hélas! loin de cet état, et on ne peut dire quand nous y arriverons, car nous ne soupçonnons même pas la distance qui nous en sépare; mais qui oserait affirmer que ce but ne sera jamais atteint?

Les obstacles qui, d’après M. Passy, s’opposeront dans l’avenir à l’établissement de la république, n’existeront pas moins pour la monarchie constitutionnelle, car, de ces deux formes de gouvernement, l’une est aussi fragile, aussi délicate, aussi difficile à manier que l’autre. Il faut donc aller plus avant et se demander si les sociétés modernes, inévitablement travaillées par les dissensions sociales et l’hostilité des classes, pourront supporter des gouvernemens libres. M. Passy a distingué deux sortes de gouvernemens : ceux où le pouvoir se transmet héréditairement, et ceux où tous les pouvoirs émanent de l’élection, c’est-à-dire d’une part des républiques, de l’autre des monarchies. Cette division ne me paraît pas porter sur le fond même des choses et sur l’essentiel en politique. Si on s’y tient, il faudra ranger dans une même catégorie le régime en vigueur aux États-Unis, dans les états romains, à Venise autrefois et dans tous les ordres religieux. Le gouvernement de l’église catholique est l’absolutisme le plus parfait qui ait jamais existé et qui se puisse concevoir, puisque, le pape infaillible étant le souverain maître des consciences et le suprême arbitre de la vérité, il faut lui accorder une obéissance passive, non-seulement pour les actes, mais pour les pensées et les croyances, de sorte que rien n’échappe à l’étreinte omnipotente, et qu’il ne reste pas même au fond de l’âme le moindre refuge pour l’indépendance humaine. Néanmoins dans cette église le souverain est élu, et aucune fonction ne se transmet par l’hérédité. C’est donc une sorte de république. Dans l’autre catégorie, il faudra mettre ensemble le gouvernement de la Russie et celui de la Grande-Bretagne, qui tous deux sont des monarchies. Peut-on cependant voir deux régimes plus différens sous tous les rapports? Évidemment la distinction en gouvernemens monarchiques et en gouvernemens républicains réunit souvent ce qui est très dissemblable, et sépare ce qui est presque identique. Ainsi la façon dont les Anglais et les Américains se gouvernent se ressemble tellement qu’il est très difficile de marquer la différence. Passez des États-Unis au Canada, le régime est identiquement le même, sauf qu’ici il y a un gouverneur nommé par la