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tuites n’y est pas répandu. Il faut donc savoir avant tout si en France cet esprit de désintéressement peut naître, ou si, pour employer un néologisme adopté par l’usage, le fonctionnarisme rétribué est un mal sans remède. L’occasion est excellente pour le rechercher, puisque les essais de décentralisation coïncident avec des besoins d’économie comme il n’y en eut jamais d’aussi pressans.

La gratuité une fois admise en principe, il reste à déterminer les fonctions auxquelles on peut l’appliquer. Évidemment cette innovation ne doit pas être étendue à celles qui exigent un travail incessant. Les devoirs permanens et pénibles qu’elles imposent seraient un obstacle au recrutement parmi les personnes riches ou seulement aisées. On ne peut donc pas ne point rémunérer les employés proprement dits, c’est-à-dire les auxiliaires qui, à des degrés divers, préparent des arrêtés que d’autres signent, et travaillent obscurément à faire des actes dont ils n’ont pas l’honneur. Comme ils n’exercent la puissance publique à aucun degré, la gratuité leur ferait subir des sacrifices sans compensation. Quelles sont les conditions qui peuvent assurer un recrutement convenable des fonctions publiques non rétribuées ? Il faut d’abord que celui qui s’en charge y trouve de la considération et de la puissance ; il faut aussi qu’elles soient conciliables avec les habitudes d’une vie occupée par d’autres soins, tels que l’administration d’une fortune même considérable ou l’exercice d’une profession lucrative. Or ce cumul n’est guère possible que dans les carrières de l’administration active, celles précisément qui offrent le plus d’analogie avec les fonctions de maire, et aussi les seules qui donnent la puissance, la considération, sans absorber entièrement les personnes qui en sont investies. De ce chef, l’économie certes ne peut nous procurer de grandes ressources, et nous n’en parlerions même pas au point de vue financier, si malheureusement nous ne vivions dans un temps où les plus petites réductions doivent être comptées. C’est à ces fonctions seulement que les Anglais appliquent la gratuité. Le shérif, premier magistrat du comté, reçoit, il est vrai, une indemnité ; mais la somme qu’on lui alloue est fort au-dessous des dépenses qu’entraîne cette charge brillante. Aussi a-t-il fallu que la loi ordonnât l’acceptation sous peine d’amende aux personnes désignées pour cette magistrature dispendieuse. D’un autre côté, le législateur a voulu que ce sacrifice ne durât pas plus d’une année et fixé le temps qui doit s’écouler avant que la même personne ne soit obligée d’accepter de nouveau cet onéreux honneur. Les juges de paix qui en Angleterre jugent et administrent (car dans ce pays la séparation des pouvoirs judiciaire et administratif n’est pas, comme chez nous, une maxime de droit public), les juges de paix tiennent des sessions dont le caractère mixte les fait ressembler