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89 il était honteux de recevoir des particuliers, mais recevoir du prince était un privilège envié. Aujourd’hui il est encore honteux de tendre la main à ses concitoyens; mais il passe pour très naturel de mendier à la porte de la république le moyen de vivre sans courir les chances du travail et de l’activité individuelle. Ceux qui refuseraient d’être les cliens de l’assistance publique se font au besoin les parasites armés de la grande cuisine du communisme. Socialisme, solidarité, collectivité, organisation du travail, droit au travail, grands mots que tout cela; si l’on veut être vrai, c’est parasitisme qu’il faut dire.

Le mal date de loin; la république, dont nous sommes loin d’instruire le procès, n’a fait que le généraliser en continuant, sans le soupçonner peut-être, des traditions qui sont directement contraires à son essence. Autrefois le roi, en France, était considéré comme le père de ses sujets. On obéissait à ses ordres, même tyranniques, avec tristesse, mais sans révolte, sans la haine ou le mépris qu’inspire l’injustice quand elle vient d’un usurpateur. On obéissait comme à un père irrité, en respectant ses emportemens, et dans l’espoir de le fléchir un jour. Ce n’est pas merveille qu’on attendît de lui du secours dans le besoin et même la subsistance dans la détresse. On était fort près de croire que tous les biens de la famille lui appartenaient. Nous sommes bien loin de ce temps, et c’est une surprise à confondre les gens sensés qu’il y ait encore des personnes s’imaginant qu’il peut revenir. Mais ce qui devrait étonner plus encore serait que la république prétendit remplacer le roi dans cette fonction personnelle et très onéreuse d’entretenir les paresseux ou les maladroits de la maison. Le roi le pouvait à la rigueur; bien que le poète latin représente les rois avec de très longs bras, les aumônes de ceux-ci n’allaient qu’à ceux qui étaient à leur portée. La république est partout : elle ne peut ni ne doit trancher du Louis XIV. Ceux qui en 1848 et aujourd’hui l’ont représentée comme une mère capable de nourrir ses enfans n’ont fait qu’une figure de rhétorique ou un mensonge dangereux. La république est une famille émancipée dont tous les membres sont frères et se doivent mutuellement des secours fraternels. Il n’y a pas là de chef ni de père qui puisse avoir ses enfans gâtés. C’est aux grands frères à seconder les petits, et aux petits à grandir par leur mérite ou leur travail.

La meilleure preuve de l’ignorance où étaient Mme de Grafigny et ses lecteurs des hardiesses dont on la pouvait accuser est la société même où elle vécut. On la trouve entourée des hommes les moins opposans, les plus détachés du parti philosophique, les plus satisfaits du régime sous lequel ils vivaient, pourvu qu’il restât ce qui a reçu le nom assez juste de monarchie tempérée par des chansons. C’est le comte de Caylus, Duclos, Collé surtout, peut-être Crébillon fils, honnête dans sa vie, à ce qu’il paraît, autant qu’il l’était peu dans ses livres. Tout ce monde con-