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que suivant l’erreur à laquelle il a donné sa préférence ou à laquelle son éducation première l’a enchaîné. Autant de façons d’envisager le moyen âge, autant de partis en France : ce sont nos théories historiques qui nous divisent le plus; elles sont le point de départ où toutes nos factions ont pris naissance, elles sont le terrain où ont germé toutes nos haines.

Il faudrait presque souhaiter que, la mémoire nous étant tout à coup arrachée par une faveur de la Providence, nous pussions oublier une bonne fois cet ancien régime et dégager notre esprit de ces vagues souvenirs qui ne servent pas à notre expérience et qui ne font qu’offusquer notre vue. Nos opinions auraient plus de justesse, nos cœurs auraient moins de rancunes, et nous arriverions peut-être à nous apercevoir qu’à fort peu de chose près nous pensons tous de même sur ce qui nous intéresse actuellement; mais, puisque cet oubli complet n’est pas possible et que nous ne nous détacherons jamais de ce passé, au moins devrions-nous le bien connaître et n’en parler qu’à bon escient. A l’observer attentivement, nous reconnaîtrons d’abord qu’il ne mérite ni tant d’enthousiasme ni tant de colères; alors, loin de nous irriter, il nous calmera peut-être, et il éteindra ces mêmes passions qui aujourd’hui s’allument en son nom et prétendent s’autoriser de lui. Lorsque nous y verrons combien l’existence y était réglée par des idées simples et justes, nous commencerons peut-être à nous défier des vagues théories et des beaux principes dont nous faisons si grand abus. Quand nous y aurons remarqué dans quelles conditions se pratiquait sans phrases la liberté, nous prendrons goût peut-être à pratiquer un peu plus ce dont nous parlons trop; surtout, quand nous saurons comment les différentes classes s’accordaient entre elles et combien, sauf de très rares exceptions, elles savaient vivre en harmonie, cela nous apprendra sans doute à ne pas tant nous haïr. La connaissance du moyen âge, mais la connaissance exacte et scientifique, sincère et sans parti-pris, est pour notre société un intérêt de premier ordre. Elle est le meilleur moyen de mettre fin aux regrets insensés des uns, aux vides utopies des autres, aux haines de tous. Pour remettre le calme dans le présent, il n’est pas inutile de détruire d’abord les préjugés et les erreurs sur le passé. L’histoire imparfaitement observée nous divise; c’est par l’histoire mieux connue que l’œuvre de conciliation doit commencer.

Rien ne nous instruit mieux sur l’ancien régime et ne nous en donne une idée plus exacte que la comparaison des divers systèmes de justice qui s’y sont succédé. C’est là qu’on peut voir comment les générations vivaient, quelles étaient les relations légales des différentes classes, quels étaient les intérêts et les droits de cha-