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blessés, s’accroupissaient dans les creux. On criait, on s’appelait. Au milieu de ma course, un chevreuil affolé par tout ce bruit se jeta presque dans mes jambes. L’instinct du chasseur l’emporta, et je le mis en joue. Un peu plus loin, un cri bien connu frappa mon oreille, et deux coqs faisans qui venaient de partir d’une cépée s’envolèrent à tire-d’aile. Cette fois on chassait à l’homme ; la battue était plus sanglante.

Quelques bonds nous amenèrent à l’autre extrémité du parc, au pied du mur que les Prussiens dans leur fuite venaient d’escalader. Aussitôt on employa les sabres-baïonnettes à desceller les pierres pour pratiquer contre eux les créneaux qu’ils nous avaient opposés sur le front d’attaque. Chaque trou recevait un fusil. Il pouvait être alors onze heures à peu près. Devant nous, La Bergerie soutenait un feu terrible; des balles par centaines volaient par-dessus notre tête et tombaient dans le parc. La Bergerie enlevée, la route de Versailles était ouverte; il n’y avait plus qu’à descendre. Un fouillis d’hommes animés par l’ardeur de la lutte grouillait dans le parc, — de la ligne, de la mobile, de la garde nationale, — tous prêts à s’élancer où l’on voudrait. On m’a raconté que le corps du général Ducrot était arrivé en retard, et que ce retard avait compromis, en l’enrayant, le succès du mouvement, que l’on avait perdu plusieurs heures devant une tranchée qu’il aurait été facile de tourner, puisque nous étions à 500 mètres au-dessus de cet obstacle, préservés nous-mêmes par le mur du parc; mais que de choses ne dit-on pas pour expliquer un échec ! Les zouaves attendaient toujours. Cette position qu’on nous avait dit de prendre, elle était prise. N’avait-on pas à nous faire donner encore un coup de collier? Le jour et une moitié de la nuit se passèrent sans ordre nouveau. d’s accès de colère nous empêchaient de dormir. Le bruit de la bataille était mort. Vers une heure du matin, un ordre arriva qui nous fit abandonner la position conquise au prix de tant de sang. Quelle fureur alors parmi nous! Sur la route qui nous ramenait à La Fouilleuse, nous marchions fiévreusement au travers des mobiles roulés dans leurs couvertures. Il y avait près de vingt-quatre heures que nous étions sur pied, le ventre creux, et la folie de l’attaque ne nous soutenait plus. Je mourais de soif. Le Crmiéen me passa un bidon pris je ne sais où, et qui par miracle se trouva plein. Je bus à longs traits, — Sais-tu ce que tu as bu, dis? me demanda-t-il en riant dans sa barbe.

— De l’eau, je crois.

— C’est de l’eau-de-vie, camarade! flaire un peu!

Et c’était vrai. Je ne m’en étais pas aperçu. Le froid produit de ces phénomènes. Une heure après, il fallut de nouveau quitter La