Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/613

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reproduisent comme en pleine liberté, et, quand l’une d’elles est réclamée pour des expériences, on transporte les sujets dans les aquariums, où on les a toujours sous la main. — C’est dans cet établissement, fondé par M. Coste et offert par lui avec une grande bienveillance à l’activité des chercheurs, qu’ont été accomplis quelques-uns des travaux de MM. Robin, Legros, Moreau, Gerbe, George Pouchet, Legouis, van Beneden. Beaucoup de savans s’y rendent constamment pour expérimenter sur le monde de la mer, avec autant d’aisance et de précision que sur les espèces domestiques de nos basses-cours. Le laboratoire de Concarneau n’a que l’inconvénient d’être situé loin de Paris.

Nous venons de voir combien la France est en retard pour ce qui touche les laboratoires et l’organisation des études pratiques; plus d’une fois des savans éminens ont dû se charger d’atténuer eux-mêmes les effets de cette déplorable pénurie. C’est dans un laboratoire construit et entretenu à ses frais que M. Dumas et ses élèves ont accompli leurs travaux; les laboratoires de M. Fizeau, de M. Boussingault, de M. Marey, leur appartiennent également. On conçoit cependant que tout le monde ne puisse suivre ces exemples, que l’initiative individuelle soit impuissante à donner à tous ceux qu’anime l’amour ardent de la science les moyens de travailler et de chercher. Des voix nombreuses et compétentes se sont élevées et s’élèvent encore pour conjurer le gouvernement de prendre quelque souci de cette regrettable situation de nos établissemens scientifiques. MM. Wurtz, Coste, Pasteur, Frémy, Claude Bernard, ont fait entendre à ce sujet d’éloquentes paroles. M. Duruy se donna beaucoup de mal pour obtenir quelques milliers de francs avec lesquels on construisit trois laboratoires à la Sorbonne, un de physique, un de chimie et un de physiologie; mais tout cela est bien insuffisant. Ce sont des millions et non des milliers de francs qu’il aurait fallu. Ils n’existent pas, tant s’en faut, au budget de l’instruction publique, et pourtant voilà un des plus nobles besoins du pays, «Ce sont, dit M. Wurtz, des dépenses productives que ces sommes consacrées au perfectionnement des études scientifiques : c’est un capital placé à gros intérêts, et le sacrifice comparativement léger qu’il aura imposé à une génération vaudra aux générations suivantes un surcroit de bien-être et de lumières[1]. »

M. Duruy, qui comprenait la nécessité de relever les hautes études en France et d’utiliser les meilleures forces du pays, trop longtemps délaissées, essaya de former avec l’ensemble des anciens laboratoires et de ceux qu’il avait établis une sorte d’école à laquelle il donna

  1. Rapport sur les hautes études pratiques, etc., p. 82.