Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaires de droit constitutionnel[1]. C’est l’esprit littéraire, ce n’est pas la science politique qui a dicté la constitution de 1848 : aussi celle-ci n’a-t-elle pas duré longtemps. Consultera-t-on davantage la science en 1871 ? À suivre la discussion récente sur la réorganisation de l’administration des départemens, on serait porté à en douter. Il faudrait se livrer patiemment à l’étude comparée des constitutions étrangères et recueillir les enseignemens de l’histoire, sans se laisser entraîner par le charme de l’éloquence et par la magie de la rhétorique. Partout où les procédés scientifiques ont été appliqués, de merveilleux progrès ont été accomplis ; mais, chose tout à fait inconcevable, on n’a rien fait pour favoriser la science qui s’occupe des institutions politiques. Et pourtant c’est du choix de ces institutions que dépend le bonheur, la grandeur, disons plus, l’existence même de la nation. Aux États-Unis, il n’est pas une école où l’on ne fasse connaître les lois constitutionnelles de l’état et de l’Union. En Allemagne, dans toutes les universités, il y a plusieurs chaires de droit public et de science sociale. Il en est de même en Hollande et en Italie. En Belgique, on explique la constitution belge dans les universités, dans tous les établissemens d’enseignement moyen et dans beaucoup d’écoles primaires. Dans l’assemblée appelée à donner une nouvelle constitution à la France, combien se trouvera-t-il de personnes qui auront suivi un cours ou fait des études spéciales sur cette importante matière ? Il y a là une immense et inquiétante lacune qu’il faudra s’efforcer de combler. C’est surtout en fait d’institutions politiques qu’il est nécessaire de faire appel à l’esprit scientifique et de se défier de l’esprit littéraire.

J’ai essayé d’indiquer quelques penchans mauvais et certaines idées fausses qui rendraient impossible l’établissement de la république en France ; je voudrais examiner maintenant quelles seraient les institutions qui pourraient en assurer la durée.


EMILE DE LAVELEYE.

  1. Il y a à l’École des chartes un cours sur les institutions politiques, administratives et judiciaires de la France, et au Collège de France une chaire de législation comparée ; mais je ne crois pas que ces cours répondent au besoin que je signale. Cette lacune est si apparente, surtout maintenant, qu’un comité vient de se former à Paris pour organiser une faculté libre de sciences politiques. Les secrétaires du comité, MM. C. Boutmy et E. Vinet, ont même publié un programme des cours très bien conçu. L’idée est excellente, elle mérite l’appui de tous ; mais elle ne portera des fruits que si l’état institue, comme en Belgique, un diplôme scientifique pour les sciences politiques, qui deviendrait un titre de préférence pour les fonctions administratives. C’est le seul moyen d’avoir un contingent suffisant d’élèves assidus et de répandre la connaissance sérieuse des sciences politiques dans le pays.