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péril, où assemblée et gouvernement sont à coup sûr moins préoccupés de multiplier les causes de division que de s’unir, de se ménager, même quand ils ne sont pas d’accord.

C’est un régime provisoire, soit ; connaît-on beaucoup de régimes définitifs qui auraient pu faire en si peu de temps ce qu’a fait ce régime provisoire par la seule autorité du bon sens, du patriotisme et de la persuasion ? Il y a quelques mois à peine, la France était accablée sous le poids des plus horribles infortunes, au point qu’on en était à se demander comment elle pourrait se relever, d’où elle pourrait tirer l’effroyable rançon qu’on lui imposait le couteau sur la gorge. Elle n’est point encore relevée à sa juste hauteur sans doute ; elle a du moins trouvé des ressources, elle a vu renaître son crédit par cet emprunt dont le prodigieux succès avait été si habilement ménagé, qui a été une victoire pour celui qui l’avait préparé comme pour le pays. Il n’y a pas si longtemps encore, les passions de parti se jetaient avec une ardeur jalouse sur certaines questions dont elles exagéraient la gravité. Il semblait que, si l’on ouvrait la porte aux princes des anciennes familles royales, si on touchait aux lois d’exil, tout devait être en combustion le lendemain. Les lois d’exil ont disparu, les princes sont revenus, ils ont pu respirer l’air de la France et vivre de la vie de tout le monde ; il n’y a point eu, que nous sachions, la moindre révolution. Ce qui était une question n’en est plus une, et la république ne s’en trouve pas plus mal. Il y a mieux, M. le comte de Chambord lui-même a pu en pleine France, dans son château de la Loire, publier son manifeste sur le drapeau blanc ; il est venu en France sans apparat, sans faste d’aucune sorte : il s’est retiré simplement. Qu’en est-il résulté ? Pas même l’ombre d’une agitation, — preuve infaillible de cet état d’apaisement mêlé, si l’on veut, de lassitude, où peuvent se passer le plus tranquillement du monde des faits qui eussent été considérés autrefois comme des dangers publics, qui auraient mis toutes les polices en campagne. Ce n’est point sans doute que dans la situation de la France tout soit également inoffensif et rassurant. Quand on voit les incendies se succéder dans certaines villes, à Nancy, à Bourges, ailleurs encore, à la suite des incendies de Paris, on est porté à se demander si ces sinistres sont l’œuvre du hasard, ou s’ils ne sont pas l’implacable réalisation de quelque plan mystérieux et diabolique destiné à entretenir l’agitation. Quand on observe certains symptômes, on se dit involontairement qu’il y a des passions qui ont été vaincues sans être découragées, et que le gouvernement entendrait singulièrement son devoir, s’il montrait quelque faiblesse après avoir été obligé de livrer la plus sanglante bataille. Oui, sans doute, on ne peut s’y tromper, il y a des passions qui vivent encore dans certaines sphères ; mais dans la masse du pays ce qui domine, c’est le désir ardent du repos, c’est le besoin de voir se régulariser