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contournent l’extrémité, le dangereux promontoire de la spina, il se fait un tel silence que dans cette immense arène on entend le galop des chevaux ; mais bientôt des cris, des chants s’élèvent pour animer les coursiers, pour encourager le cocher favori :


« Ô Dieu, protège l’empereur, protège les magistrats ! — Protège nos maîtres, protège nos impératrices, — protège leurs enfans porphyrogénètes, — protège le préfet de la ville. — Protège Olympios, protège Anatellons. — Puissance de la croix, donne-lui la victoire, donne la victoire aux vénètes. — Mère de Dieu, qu’ils soient victorieux, que leur triomphe remplisse de joie l’empire ; — fais que nous puissions danser la danse triomphale ! — Nous avons Jésus pour protecteur. — Victoire aux bleus ! — Quand cette faction est victorieuse, l’empereur, à la tête de son armée, remporte des victoires, l’abondance s’accroît dans la ville des Romains. — Que la Divinité accorde aux bleus éternellement les triomphes et la gloire ! — Que triomphe donc la fortune de l’autocratôr, de l’augusta, que triomphe la fortune de l’empire et des vénètes ! »


Jamais croisés francs n’ont prié plus ardemment pour qu’il leur fût donné de conquérir le tombeau du Christ, jamais compagnons de Mahomet n’ont élevé au ciel des prières plus ardentes pour qu’il leur fût accordé de propager l’islam, que les Byzantins pour obtenir un succès d’hippodrome.

Quand la course est finie et le vainqueur déclaré, l’on nivelle l’arène et l’on recommence jusqu’à quatre fois. La première partie du programme est alors remplie. C’est le moment des intermèdes, exhibitions de bêtes curieuses ou exercices d’acrobates. Un historien grec se rappelle avoir vu un de ces gymnastes qui était parvenu jusqu’au sommet du grand obélisque : là le vertige le prit ; il sauta en avant, tomba d’une telle hauteur qu’il mourut en touchant terre et s’enfonça profondément dans le sable. Ces audacieux artistes ne s’épargnaient guère. On raconte l’histoire d’une troupe de ces funambules qui allait de cité en cité ; mais avant d’arriver à Constantinople, moitié d’entre eux avaient succombé à ce terrible jeu. Un aventurier italien avait aussi montré à Constantinople un chien savant que les Byzantins croyaient sorcier ; en effet, ce merveilleux animal savait désigner dans un cercle de spectateurs la personne la plus avare, la plus généreuse, la plus vicieuse ; il rangeait par ordre les médailles des empereurs, rapportait des anneaux à leur propriétaire, etc. En même temps, des comédiens organisaient des scènes de pantomimes ; des clowns se livraient à des contorsions bizarres, des cavaliers faisaient la voltige sur deux ou plusieurs chevaux.

Après les courses de chars, il y avait des courses à pied. Quelquefois, pour rendre le jeu plus piquant, des coureurs prenaient un