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couvrirent de sueur, mais n’avancèrent pas. C’est alors qu’un des nôtres eut l’idée heureuse de se diriger vers l’éléphant, qui lui-même s’était arrêté à notre vue, et de lui indiquer de la main et de la voix, à différentes reprises, la direction d’un bois de cannelliers qui se trouvait sur un des côtés du chemin. Le gros animal, après s’être balancé un instant comme indécis sur ses jambes, parut enfin avoir compris qu’il était un épouvantail pour nos bêtes rétives, et il s’enfonça sous bois, mais non sans s’être arrêté tous les trois pas pour nous regarder et attendre une nouvelle injonction. Nous nous remîmes alors en route. Une fois le bois dépassé, nous fîmes un temps d’arrêt afin de voir si l’éléphant sortirait du taillis ; c’est ce qu’il fit, se demandant peut-être dans sa bonne grosse tête comment lui, si doux, pouvait être un objet d’épouvante.

Les premiers conquérans de l’île de Ceylan furent des Portugais, les Hollandais la leur prirent ; les Anglais, étant devenus plus puissans que ces derniers, les ont chassés et l’ont gardée. C’est à peu près l’histoire de toutes les colonies, et l’île Maurice, cette ancienne perle de nos possessions, redit sans cesse, désespérée, comment la foi punique des Anglais l’arracha de nos mains. Si à Point-de-Galle on trouve peu de vestiges de la domination des Pays-Bas, en revanche, à Colombo, tous les monumens rappellent les grands travaux exécutés par les Albuquerque et les deux Castro. Leurs descendans sont encore en assez grand nombre, mais ils disparaissent parmi les Anglais, les Malais, les Chinois, les Persans, qui se sont fixés dans l’île ; on ne les distingue qu’à l’exercice du culte catholique, auquel ils sont restés fidèles, et à une mauvaise foi proverbiale. Il est peu de races dont la décadence ait été aussi rapide que celle de la race portugaise. A Ceylan, à Goa, au Mozambique et à Macao, en s’alliant aux femmes asiatiques, les Portugais ont vu leur condition physique tomber aussi bas que leur condition morale. Ils sont devenus presque tous de petite taille et malingres ; leurs traits primitifs ont complètement disparu sous ceux des races inférieures auxquelles ils se sont mélangés sans vergogne. Fourbes, débauchés, portant la prostitution à ses dernières limites, ils rendent impossibles les rapports qu’on peut avoir avec eux, car ces rapports dégénèrent infailliblement en difficultés de mauvais aloi. Leur vantardise est bouffonne, et dépasse celle des Gascons et des Andalous. « Je vous enverrai mes huit pieds de chevaux, » dit avec orgueil un Portugais macaïste, pour dire qu’il vous enverra son attelage. « Présentez armes ! en joue ! figure féroce à l’ennemi ! feu ! » est un des commandemens que l’on prête aux officiers de la milice de Goa. Ceux de cette nation qui ne se sont pas mêlés aux Asiatiques ou aux Mongols sont des gens honorables ; il en est de même des Portugais