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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/458

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imitait assurément sans en avoir conscience. Les économistes qui ont combattu le mouvement social de 1848 ont parfaitement démontré qu’imposer une règle commune aux hommes, c’est les abêtir sous un joug commun. Malgré leurs efforts, l’uniformité a fait des progrès prodigieux en France. C’est sans contredit l’un des plus mauvais services qu’aient rendus au pays les grandes administrations centralisées à Paris. Perdus au milieu de l’infinie variété des affaires qui leur reviennent, ignorans des influences contingentes qui commandent une solution particulière pour chaque cas particulier, directeurs d’administration et chefs de bureau n’ont vu le salut que dans l’observation rigide d’une méthode uniforme.

Les administrations en France sont lentes, encombrées de règlemens superflus ; elles dépensent beaucoup et produisent peu, elles arrachent trop à la vie civile, à la famille, ceux qu’elles emploient ; elles engourdissent les intelligences en prétendant les couler dans un même moule. N’y a-t-il pas de remède à ce fâcheux état de choses ? Avant d’exposer quelques idées pratiques à ce sujet, que l’on me permette une digression afin de bien établir les principes.

Dans les écoles publiques de la Grande-Bretagne, les enfans sont autrement élevés que dans nos lycées français. Au lieu d’être soumis à la surveillance incessante d’un maître d’études, ils sont libres d’aller et de venir à leur gré. L’emploi de leur temps n’est pas fixé à l’avance ; ils ne sont pas renfermés tous ensemble dans une salle ; ils travaillent où et quand ils veulent, sous la seule condition d’avoir achevé leurs devoirs au jour et à l’heure prescrite. Sous ce régime, les jeunes élèves ont moins d’application et sont sans doute moins instruits, on ne peut le nier : par compensation, ils acquièrent des qualités morales inestimables. Ils ont la responsabilité de leurs actes et la conscience de leurs fautes. D’autre part, les maîtres, qui n’exercent plus d’influence sur leurs élèves qu’en proportion de la confiance qu’ils inspirent, sont moins tentés d’abuser du pouvoir ; le moindre tort qu’ils se donneraient vis-à-vis de leurs élèves tournerait à leur propre détriment. Le commencement de la sagesse n’est plus la crainte du maître, c’est un affectueux respect. Qu’en résulte-t-il ? Les enfans ont plus d’abandon avec leurs professeurs, et ils deviennent plus promptement des hommes. En France, disent avec raison les Anglais partisans de ce système d’éducation, vous vous efforcez d’uniformiser les enfans ; chez nous au contraire, nous tâchons de les individualiser, de leur donner le sentiment de la responsabilité personnelle[1].

  1. Voyez notamment les divers écrits du révérend S. Hawtrey, assistant master au collège d’Eton : Réminiscences of a French Eton, a narrative essay on a libéral éducation.