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l’attention sur les objets ; loin de profiter de cet heureux penchant et de l’exciter par tous les moyens, on le réprime pour ne guère enseigner autre chose que des mots et des phrases. Beaucoup d’élèves trouveraient un véritable bonheur à s’occuper de divers sujets qui ouvrent des perspectives à l’intelligence, surtout lorsque le travail n’empêche pas l’activité du corps ; mais de l’étude on fait une perpétuelle fatigue, parfois un supplice. La fin des classes, n’est-ce pas pour les jeunes gens le terme des ennuis, la délivrance, la joie de ne plus songer aux leçons des professeurs ?

C’est en vain que dans tous les temps il se trouve des penseurs qui observent les aptitudes de l’enfance et donnent d’excellens préceptes, les universités ne changent rien aux vieilles habitudes. Se souvient-on de ces paroles de l’auteur de l’Essai sur l’Entendement humain, du sage Locke : « Rappelez-vous qu’on ne doit pas instruire les enfans par des règles qui toujours sortiront de leur mémoire. Ce que vous jugez nécessaire de leur apprendre, fixez-le par une pratique indispensable aussi souvent que l’occasion se présentera, et, s’il est possible, faites naître les occasions. La curiosité chez les enfans est le désir de connaître ; encouragez cet appétit, non-seulement comme un bon symptôme, mais comme le meilleur instrument dont la nature les a doués pour échapper à l’ignorance originelle qui, sans cette curiosité inquiète, en ferait des créatures stupides et inutiles[1]. » A-t-on tenu compte de cet avis si bien justifié du philosophe de Genève : « Je ne me lasse point de le redire : mettez toutes les leçons des jeunes gens en actions plutôt qu’en discours ; qu’ils n’apprennent rien dans les livres de ce que l’expérience peut leur enseigner. Quel extravagant projet de les exercer à parler sans sujet de rien dire, de croire leur faire sentir sur les bancs d’un collège l’énergie du langage des passions et toute la force de persuader, sans intérêt de rien persuader à personne ! » Qu’importe encore que d’Alembert et une foule d’autres jusqu’à nos jours récriminent contre l’abus des dissertations et des amplifications ! L’enseignement actuel, comme celui du moyen âge, n’a-t-il pas pour objet unique de former des rhéteurs ? L’Université repousse les connaissances attrayantes qui élèvent particulièrement la pensée humaine : elle n’admet pas les exercices où l’on apprend à se passionner pour la vérité, elle n’enseigne point l’art d’observer, elle n’accoutume en rien à l’expérience. En sortant du collège, les jeunes gens errent sans boussole, et ne peuvent réparer, même dans les écoles spéciales, les défauts d’une instruction qui a été vicieuse à son origine.

Si beaucoup d’hommes éclairés admettent qu’une part

  1. Some thoughts concerning Education, §§ 66 et 118.