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effet, par suite des obstacles de toute sorte qu’opposerait la nature même du sol, les haies, les fossés, les terres labourables, les faire parvenir jusqu’à l’endroit où est tombé le blessé, et le pourrait-on d’ailleurs qu’on ne devrait pas sacrifier à coup sûr de précieux moyens de transport, déjà trop peu nombreux, en les exposant ainsi à l’atteinte des projectiles.

En France, le soin de transporter les blessés à l’ambulance est confié à des soldats du train conduisant des mulets porteurs de cacolets. Rien n’est admirable comme le courage tranquille de ces hommes qui n’ont point pour les exciter l’entraînement de la lutte ; mais ils ne peuvent que rarement arriver jusqu’à l’endroit même où gît le blessé, et c’est presque toujours à bras d’hommes que la première partie du transport doit être faite. Or dans notre armée rien n’est organisé en vue de ce genre de secours. Pendant la dernière campagne d’Italie, on a cru pouvoir confier ce service aux musiciens des régimens ; mais, outre que ces hommes sont en nombre insuffisant, ils n’ont aucune aptitude à remplir le rôle qu’on a voulu leur imposer, et n’en est-il pas de même des soldats du train ? Relever un blessé n’est pas chose aussi simple qu’on le pense ; les fractures des membres sont fréquentes, un mouvement mal ordonné aggrave souvent des blessures qui eussent été relativement légères ; la pointe d’un fragment d’os, une esquille, peuvent déchirer un nerf ou un vaisseau important, et le chirurgien est alors forcé de sacrifier un membre qu’il eût pu conserver. Le dévoûment des soldats du train ne saurait suppléer à l’absence d’une éducation spéciale, au défaut d’expérience. Le cacolet lui-même est un détestable moyen de transport. Les mouvemens du mulet impriment au blessé assis dans l’espèce de fauteuil formé par le cacolet des secousses qui retentissent douloureusement dans sa blessure, et, s’il est couché sur une des deux litières que porte l’animal, il éprouve, outre les secousses, des oscillations semblables au tangage d’un navire. Parfois le mulet heurte son voisin, d’autres fois même il s’abat ; l’un de nos malades, l’infortuné colonel Suberbielle, atteint aux deux jambes par un éclat d’obus, fut jeté ainsi sur le pavé d’une rue de Metz. Le mulet a pu être un bon moyen de transport dans les pays où, comme en Algérie, à l’époque de la conquête, il n’existait pas de route carrossable ; en Europe, il n’a d’autre raison d’être que la routine. Pour les évacuations de blessés de la place de pansement à l’ambulance du quartier-général ou d’un hôpital à l’autre, il ne saurait être comparé aux voitures d’ambulance, modèle Masson, dont se sert l’administration française. De la ligne de combat à la première ambulance, le cacolet ne remplace pas le brancard, parce que le mulet ne peut presque jamais être conduit jusqu’à l’endroit même où est tombé le blessé. Faute d’un