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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/196

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études inattentives, dissipation profonde, point de progrès, tel était le bilan de l’école dressé par le gouverneur lui-même. Néanmoins il ne se décourageait pas. Au mois de janvier 1869, il fonda des écoles gratuites de garçons sur le principe de l’indifférence la plus absolue en matière de religion. Les enfans de toute nationalité et de toute couleur y étaient admis sans distinction : les Océaniens idolâtres, les Indiens mahométans, les chrétiens français et anglais étaient appelés à s’asseoir sur les mêmes bancs. Les instituteurs, tous laïques, étaient tenus de « respecter scrupuleusement la religion de chacun des enfans ; » on devait se contenter « de leur donner les principes d’une morale propre à en faire des hommes honnêtes et utiles à leur pays. » Quelle morale ? La morale chrétienne ou celle de Wishnou ? Il ne s’agit pas d’incriminer ici les intentions du gouverneur, qui étaient sans doute excellentes, mais d’en montrer l’inconséquence ; elle éclatait du reste dans le programme même. L’article 16 de l’arrêté était ainsi conçu : « chaque jour, avant la séance du matin et à l’issue de la classe du soir, la prière sera dite par l’un des élèves de l’école. » Quelle prière ? Une statistique de 1866 donnait le tableau suivant de la population de l’île, à l’exception des indigènes ; des soldats et des transportés : hommes et femmes, 1,395, dont 770 Français, 202 Anglais, 50 Allemands et 335 Asiatiques, Africains et Océaniens, au service des concessionnaires adonnés à la culture de la canne et à la fabrication du sucre. Autant de nationalités, autant de religions. Comment donc l’arrêté entendait-il cette prière en commun ?

De tels actes d’administration n’étaient pas faits pour rassurer les consciences ; la mission notamment ne pouvait s’en montrer satisfaite. Le gouverneur évidemment ne l’aimait pas, et ce sentiment suffisait pour lui persuader qu’il n’en était pas aimé. Refoulée dans la partie septentrionale de l’île, non par un exil, mais par une antipathie qu’elle ne pouvait dissimuler, elle s’aigrissait et devenait hostile à l’administration. S’étant d’abord établie dans l’île par ses propres ressources, elle croyait avoir conquis des privilèges qui ne s’accordaient guère avec les principes d’absolue souveraineté que le gouvernement entendait exercer au nom de la France. La rupture éclatait à propos d’un arrêté sur le cantonnement des indigènes. La colonisation prenant quelques développemens, le gouverneur voulut réserver des terres pour les nouveaux colons ; il limita le territoire de certaines tribus dans les vallées fertiles, et il fit la part à concéder aux nouveaux arrivans. C’était trancher militairement une question de propriété très délicate. Certains districts adressèrent au gouverneur des réclamations écrites et signées. On accusa les missionnaires d’avoir inspiré ces plaintes.