L’administration aidait ces nouveaux colons par des distributions de vivres, d’instrumens aratoires, de semences et autres secours. C’était renouveler un essai malheureusement tenté en Angleterre, l’essai des tickets of leave ou « billets de congé, » qui donnaient aux transportés d’une bonne conduite une remise provisoire et conditionnelle d’une partie de leur peine : invention détestable qui dota l’Angleterre de 130,000 convicts, malfaiteurs endurcis et audacieux, les « garrotteurs » par exemple.
Le résultat fut-il meilleur à la Nouvelle-Calédonie ? On en peut douter. Les évasions se multiplièrent ; l’administration en publia le relevé au mois de juin de l’année 1867. Il y avait à cette époque un peu moins de 2,000 transportés à la Nouvelle-Calédonie. L’inauguration du pénitencier datait à peine de trois ans, et déjà plus de cinquante évasions avaient déjoué toute surveillance. Un certain nombre de fugitifs avaient péri ; d’autres, exténués de lassitude et de faim, s’étaient rendus volontairement ; plusieurs avaient été poursuivis et repris. Certes ces exemples n’avaient rien de séduisant ; mais la soif de la liberté est si grande chez ces criminels que la perspective des plus terribles dangers et d’un insuccès presque certain n’est pas capable de l’éteindre. La plupart n’ont que de vagues notions de géographie ; les uns se croient sur un continent et ne désespèrent pas d’arriver en Europe, les autres espèrent trouver dans quelque baie isolée un capitaine complaisant qui les embarque sur son navire ; quelques-uns accepteraient pour un temps la vie de Robinson Crusoé. C’était donc folie de combattre cette fièvre ; qui demande le traitement le plus énergique, par des topiques innocens tels que des essais de petite culture en famille. Les convicts acceptent toutes les faveurs qu’on leur fait ; mais leur pensée immuable, le but dont rien ne les détourne, c’est de se retrouver dans les grandes villes, dans les rues où le gaz miroite entre les pavés humides, où les richesses de l’art et de l’industrie sont exposées dans des boutiques meublées comme un salon, où circule la foule pourvue de montres, de bijoux et de porte-monnaie, où résident les receleurs, où l’on trouve ouverts les cabarets interlopes, les cafés borgnes, les petits spectacles, où le produit du vol procure tous les plaisirs de bas étage. Les champs, la culture libre, les enfans, la famille, le salaire, l’épargne, sont pour eux des mots vides de sens. L’idée de profits acquis promptement et sans peine, de tous les appétits et de tous les vices satisfaits, voilà ce qui est leur tourment dans l’exil, le rêve de leurs nuits, La pensée de leurs jours ; voilà ce qui les exalte au point de leur faire braver la prison, les châtimens, la prolongation de la peine, la mort même. Jean Hébrard, convict transporté à Cayenne, avait successivement