Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accumulé sur sa tête deux cent trente-cinq années de travaux forcés. Que lui importaient la rédemption, la réhabilitation et autres amusettes des honnêtes gens ! Ce qu’il lui fallait, c’était la liberté ; il se l’est procurée en s’évadant, on ne l’a jamais repris.

Vers la fin de 1867, l’administration de la Nouvelle-Calédonie obtint la grâce de huit condamnés. Elle avait sans doute compté dans le principe sur cette clémence pour couronner l’édifice de son système ; mais dans l’intervalle tant de déceptions l’avaient accablée qu’elle ne dissimulait plus son découragement. Le gouverneur se rendit au pénitencier ; il y fit un discours mélancolique. Il avait tenu toutes ses promesses, disait-il, il avait multiplié les marques de sa sollicitude. — Engagement chez les colons, comportant salaire et une sorte de liberté provisoire, appel fait aux familles des transportés, groupes nombreux formés à part dans l’île Nou et sollicités au travail libre et régénérateur des champs, jardins particuliers tolérés, gratifications, perspective attrayante d’une liberté conditionnelle basée sur la vie de famille, — toutes les faveurs enfin que l’administration pouvait accorder sans violer la loi avaient été libéralement offertes. Comment les condamnés avaient-ils à leur tour rempli leurs engagemens envers le gouverneur ? Il s’agissait non pas seulement de fautes légères, mais de délits graves et même des crimes les plus odieux. Le gouverneur serait-il réduit à désespérer du plus grand nombre ? Il éprouvait parfois cette désespérance, car il y avait réellement peu de condamnés qui parussent marcher sérieusement à la rédemption. « Aidez-moi donc, disait-il en manière de péroraison, à vous relever, à vous sauver ; ce sera un sujet de joie pour les véritables amis de l’humanité. » On donna toute la solennité possible à la libération des graciés. C’était le dernier et honorable effort d’un esprit convaincu, d’un cœur généreux ; la flatterie fit tout ce qu’elle put pour le rendre ridicule. Le lendemain de la cérémonie, un récit fut publié dans le journal de la colonie. On y lisait ce qui suit : « M. le gouverneur ayant fait approcher le premier des huit libérés, un nommé Dotton, l’enveloppa d’un regard profond, et, la main droite posée sur l’épaule du gracié, il lui fit entendre quelques bonnes paroles. Il tendit ensuite la main à Dotton. Celui-ci, touché jusqu’aux larmes de cette faveur inespérée, fit entendre un merci étouffé par l’émotion. Cette poignée de main, ajoutait le thuriféraire officiel, restera longtemps dans le cœur de tous les témoins. »

Le système venait de dire son dernier mot. L’ensemble des mesures qu’il avait inspirées était complet ; on n’avait pas été gêné dans l’expérience. Si la machine ne marchait pas, c’est évidemment parce qu’elle était mal conçue et frappée d’un vice radical. Trois