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mois après la libération des huit graciés, il devint nécessaire d’adopter des mesures d’une sévérité extrême pour protéger la colonie. Le 2 février 1868, une prime fut promise à quiconque ferait la capture d’un condamné fugitif. Il fut convenu qu’un coup de canon annoncerait l’évasion d’un ou de deux convicts, deux coups devaient être tirés pour la fuite de trois hommes, trois coups pour révolte ou incendie. La fuite, la révolte, l’incendie, telle était donc la perspective redoutable de la pastorale exécutée en Nouvelle-Calédonie pour la rédemption et la réhabilitation.

Nous ne poursuivrons pas plus loin ce récit ; l’histoire de la domination française en Nouvelle-Calédonie est tout entière dans les huit années que nous avons résumées. C’est pendant cet espace de temps seulement que l’administration a été dirigée par une idée L’idée était fausse, on en a vu les résultats, mais au moins elle existait. Le gouverneur avait un plan et savait ce qu’il voulait faire. Hors de là, nous cherchons vainement un système arrêté ; on a marché au jour le jour. Il est temps de savoir ce qu’on veut faire, puisqu’il s’agit de continuer la transportation. Si la transportation a échoué à la Guyane, l’influence climatérique a été pour beaucoup dans cet insuccès. A la Nouvelle-Calédonie, la tentative est malheureusement languissante ; mais ici la faute est uniquement à l’insuffisance du gouvernement ou à la fausse direction de ses idées. Ce qui s’est passé nous indique l’un des écueils qu’il faut éviter : c’est celui de méconnaître le caractère commun des condamnés et de regarder leurs crimes avec une indulgence trop philosophique. En thèse générale, il n’est pas bon de montrer de la faiblesse à l’égard des malfaiteurs. La répulsion qu’ils doivent inspirer est peut-être de tous les moyens préventifs le plus efficace. Les pensées de pillage, de meurtre, d’incendie, ne se développent pas avec la même facilité au milieu de l’horreur générale. Il appartient surtout à la haute administration de ne pas affaiblir ce sentiment. Si, par excès d’humanité, elle en arrive presque à excuser le crime, le condamné ne tardera pas à se justifier à ses propres yeux ; il se regardera comme une victime, la société sera pour lui un bourreau. Dès lors rien ne lui coûtera pour se soustraire à l’oppression. Jamais la morale n’a été plus menacée qu’aujourd’hui par le sophisme ; jamais il n’a été plus nécessaire d’en revendiquer les droits sans hésitation, sans transaction. Le temps n’est plus aux controverses philosophiques, aux essais de systèmes et de prétendues réformes sociales ; il est à l’affirmation des principes sur lesquels a été fondée la société chrétienne, et ces principes comprennent l’horreur et le châtiment du crime.


PAUL MERRUAU.