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d’aimer et d’estimer Louis XV, il continue de respecter en sa personne la royauté. On ne saurait croire à quel point ce respect subsiste, au défaut de l’affection trompée et découragée, dans la masse du peuple et de la bourgeoisie, ni combien l’ancienne France s’est obstinée à pallier les fautes du prince, à ne les pas voir, afin de ménager le prestige d’une autorité qu’elle sentait nécessaire. Le règne des maîtresses n’a pas soulevé dans Paris, vers 1740 et 1750, l’indignation qu’il inspire aujourd’hui à la vertueuse histoire ; on ne fut même pas loin d’applaudir aux premiers écarts de Louis XV. « Le voilà devenu honnête homme, répétaient les bourgeois en belle humeur ; cela lui formera le génie et les sentimens. » Surgit l’astre nouveau de la Pompadour ; Barbier s’irrite, mais contre qui ? Contre les faiseurs de chansons satiriques. « Le roi a une maîtresse, dit-il d’un ton dégagé ; mais qui n’a pas la sienne ? » Il ne prend pas garde que cette apologie du prince ne fait guère l’éloge du siècle, ni même du panégyriste. Moins indulgent, Hardy se tait ; le silence est chez lui la forme respectueuse de la désapprobation. Ce janséniste ne touche pas aux maîtresses : pas un mot dans son journal sur Mme Dubarry ; une seule ligne sur Mme de Pompadour, et c’est pour annoncer sa mort. Ne lui demandez donc pas la chronique scandaleuse du règne ; c’est un soin qu’il laisse aux courtisans. S’il s’agit au contraire non de la personne du roi, mais de son gouvernement, — sur ce terrain de l’opposition légale Hardy et Barbier reprennent leur liberté. Il est un abus surtout qui échauffe leur bile : c’est le désordre des finances, ce cauchemar du bon sens bourgeois. « Quel tonneau des Danaïdes que ce trésor royal ! » lisons-nous dans Hardy. — « Notre pauvre argent ! » s’écrie Barbier en voyant le splendide gaspillage des écus du tiers-état, « Après tout, ajoute-t-il avec une ironie toute moderne, qui pourrait-on choisir de mieux dans ce pays-ci pour ministres que des fripons ? » Le journal de Hardy contient quelques lignes assez neuves sur la mort de Louis XV. Ce n’est plus le tableau tracé par Bezenval des intrigues qui divisent la cour pendant l’agonie du roi ; c’est une vue de Paris pendant les jours qui précèdent et qui suivent ce grave incident. Nous recueillons l’impression du dehors et la rumeur populaire. L’aspect général est calme, l’indifférence paraît dominer ; la police, il est vrai, étouffe jusqu’aux paroles. Hardy a une façon particulière, et qui sent bien son janséniste, de mesurer le degré d’impopularité où le roi est descendu. Un chanoine de ses amis lui a fait part du calcul suivant. « En 1774,, il avait été payé à la sacristie de Notre-Dame 6,000 messes pour la guérison de Louis XV ; en 1757, après l’attentat de Damiens, le nombre des messes demandées ne s’était élevé qu’à 600 ; dans la maladie actuelle, il est tombé à 3 ! » Voilà pour Hardy un infaillible thermomètre du