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dicales ; » naturellement il proteste contre les « usurpations » de l’assemblée de Versailles, et il réclame l’amnistie comme un droit. Après tout, M. Gambetta peut dire ce qu’il voudra dans ses mandemens, c’est là le vrai radicalisme qui, lui aussi, a son programme tout tracé et qui peut indubitablement trouver une certaine force de circonstance dans l’incertitude des choses, dans les souffrances des intérêts, dans la confusion des esprits. Le plus grand ennemi que puisse avoir aujourd’hui la république, c’est assurément ce radicalisme qui par son essence n’est nullement une politique, qui est tout simplement l’instinct de la violence et de la destruction. À ses yeux, tout ce qui ressemble à un ordre régulier est une tyrannie ; dès que la république s’apaise et commence à devenir compatible avec toutes les habitudes d’une population laborieuse et tranquille, ce n’est plus la république ; dès qu’une loi existe, il s’agit de l’outrager ou de la violer. Vous l’avez vu récemment : des conseils d’arrondissement, dépassant la limite de leurs droits, ont eu l’idée d’émettre des vœux d’un ordre tout politique, et le gouvernement, sans hésiter un instant, a cru devoir annuler ces manifestations illégales. Vous croyez peut-être que les radicaux, dans l’intérêt de la république elle-même, se sont empressés de désavouer les illégalités et d’appuyer la prévoyante mesure du ministre de l’intérieur ; pas du tout, ils se sont empressés de railler le gouvernement sur l’inefficacité de ses répressions toutes morales, et ils ont ingénieusement montré comment le décret d’annulation n’était qu’un moyen de plus d’enregistrer et de divulguer les vœux émis par les conseils d’arrondissement. Tout ce qui est anarchie a pour eux d’invincibles fascinations. Avec cela, le radicalisme est certainement par lui-même un danger, et peut-être le plus sérieux des dangers aujourd’hui ; mais en même temps il y a une chose que les radicaux ne voient pas, c’est qu’ils sont sans nul doute les plus utiles auxiliaires des bonapartistes, ils font campagne avec eux. En menaçant par leurs agitations et par leurs propagandes un gouvernement ou une situation dont ils espèrent hériter, ils ne s’aperçoivent pas que, par les crises qu’ils pourraient provoquer, ils sont la meilleure chance de l’empire, et ici encore voilà la moralité de cette espèce de recrudescence de radicalisme dans nos affaires.

Ainsi se mêlent ces courans d’opinions et de passions autour d’un gouvernement qui, de son côté, sans aucun doute, n’a point les yeux fermés sur les difficultés qu’on pourrait lui créer. Ces difficultés sont réelles, et la plus grave n’est pas même dans le mouvement extérieur et ostensible des partis ; la difficulté la plus sérieuse serait peut-être aujourd’hui dans cette sorte d’incertitude où toutes les factions peuvent trouver une espérance. Les partis, s’ils voulaient remuer, savent bien qu’ils se briseraient contre le sentiment public, qu’ils ne pourraient rien contre cette force collective du pays toujours représentée par l’union de l’assemblée et du gouvernement. Contre l’incertitude, il n’y a qu’un re-