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derniers séjours à Athènes qu’Isocrate aurait pu assister à ces entretiens et à ces discours qui attiraient tant de curieux. Lors de la fameuse ambassade où Gorgias révéla aux Athéniens la rhétorique sicilienne et leur en fit admirer les finesses et la subtilité, Isocrate n’avait encore que neuf ans. S’il ne put qu’entrevoir le maître lui-même, au moins suivit-il avec passion les leçons de ses principaux disciples et de ses plus brillans rivaux. Il paraît surtout s’être attaché à Théramène. Ce souple et vif esprit, avant de marquer dans la politique et d’y trouver une fin tragique, avait commencé par approfondir l’art des rhéteurs, en avait étudié et enseigné la théorie ; Isocrate n’échappa point aux séductions de cet aimable et dangereux personnage. Ceux même qui avaient le plus souffert des intrigues de Théramène et de sa versatilité proverbiale à Athènes ne pouvaient se défendre d’admirer cette fécondité de ressources, cette facilité à changer d’attitude et de langage, cette belle humeur qui persistait jusque dans les situations les plus difficiles et en face de la mort même. On comprend que le jeune Isocrate, au début de la vie, ait mal discerné ce que ces brillantes apparences cachaient d’égoïsme et de sèche ambition. Il partageait avec la plupart des Athéniens une illusion que ne réussirent point à dissiper toutes les trahisons de Théramène ; il fut ébloui par des défauts et des mérites qui étaient tout l’opposé des siens, il fut dupe enfin d’un prestige auquel l’histoire même, tout avertie qu’elle était par de graves témoins, s’est plus d’une fois laissé prendre.

Par bonheur, Isocrate, à l’âge où l’âme reçoit son pli et sa forme durable, subit une autre influence meilleure que celle de Théramène, et qui pénétra plus avant, celle de Socrate. Ce qui conduisit d’abord l’adolescent auprès du philosophe, ce fut sans doute la curiosité et le désir d’entendre de beaux discours. Socrate ne se distinguait point des sophistes, aux yeux de ses contemporains, par des différences aussi tranchées que nous serions portés à le croire aujourd’hui sur la foi du grand poète qui a nom Platon. Il poursuivait, il est vrai, un tout autre but que Gorgias ou Protagoras ; mais son esprit avait presque même démarche et mêmes allures. Pour les combattre, il leur empruntait leurs propres armes, et, ces armes, il les maniait avec tant de dextérité que plus d’un spectateur devait, sur le moment, s’y tromper de très bonne foi, et ne pas bien savoir lequel des deux adversaires abusait le plus du raisonnement et des distinctions verbales. Ce qui distinguait vraiment Socrate de ceux que confondait avec lui, longtemps encore après sa mort, le jugement superficiel de la foule, c’est qu’il ne discutait pas pour le seul plaisir de discuter ; à côté de ses procédés de réfutation, empruntés aux dialecticiens antérieurs, il avait sa méthode d’exposition et d’enseignement. Il ne partait point du scepticisme pour y