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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/321

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revenir comme à un terme naturel ; par ses méditations prolongées, il s’était fait sur le problème de la destinée humaine, sur la loi et la fin des choses, un certain nombre d’idées qu’il cherchait à répandre, il croyait au vrai et au bien : il avait, comme nous dirions aujourd’hui, sa psychologie, sa théodicée, sa morale et sa politique. Tandis que les dilettantes et les ambitieux ne voyaient dans la fréquentation de Socrate, ceux-ci qu’un agréable passe-temps, ceux-là qu’un moyen de s’ouvrir et de se délier l’esprit, d’autres, les vrais disciples du maître, étaient plus touchés encore du fond que de la forme de ces entretiens. Ils en rapportaient de nobles pensées qu’ils développèrent et fécondèrent plus tard, des germes d’où sortirent les célèbres écoles philosophiques que représentent les noms de Platon, d’Aristote, d’Epicure et de Zénon.

Isocrate n’était point de ceux que la nature avait faits pour la grande curiosité scientifique et la haute spéculation ; il en avait reçu toutefois des instincts élevés, le goût du bien, l’amour et le respect de la vertu. Par ce côté, il appartenait à un groupe intermédiaire dont Xénophon nous offre un autre type intéressant ; il était de ces esprits qui aimaient et admiraient surtout dans Socrate un instituteur des âmes et le révélateur d’une morale nouvelle, plus pure que celle des sages ses prédécesseurs, en même temps mieux démontrée, plus capable de rendre raison d’elle-même. Aux yeux de ces hommes, Socrate, dont les dieux mêmes avaient proclamé la supériorité, était de tous les Grecs celui qui par ses discours enseignait le mieux la vertu, et qui par ses exemples en fournissait le plus parfait modèle ; quelques-uns même, comme nous le voyons pour Xénophon, le consultaient avant de rien entreprendre d’important, et trouvaient en lui une sorte de directeur de conscience. Ceux des socratiques qui avaient ce tour d’esprit n’ont guère traité, quand ils ont écrit, que les questions de morale ; leurs ouvrages tournent toujours au sermon. Histoire, roman, anecdote, tout s’y fait précepte, leçon ; vous avez la Cyropédie de Xénophon, ou les discours de notre orateur intitulés à Démonicos et à Nicoclès.

Isocrate se fit remarquer auprès du maître par l’intérêt avec lequel il écoutait sa conversation, par la justesse de ses réponses, par le sincère désir qu’il laissait paraître d’être lui-même bon et vertueux, ainsi que d’éclairer et de corriger les méchans. Cette ardeur de prosélytisme, qu’il conserva jusqu’à son dernier jour, devait éclater bien plus vivement encore dans les yeux, dans la physionomie, dans les moindres paroles du jeune homme ; que Socrate en ait été frappé et touché, c’est ce dont témoigne Platon dans les dernières lignes du Phèdre, son premier ouvrage. On sait comment dans ce dialogue Platon, par la bouche de son maître,