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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/629

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pour le plaisir de vivre ensemble, pour trouver hors de chez soi des distractions à ses fatigues et à ses ennuis, pour se faire une intimité moins restreinte que la famille, moins étendue que la cité, pour s’entourer d’amis et se rendre ainsi la vie plus facile et plus agréable. Ce but, nous le verrons, est en réalité celui de toutes les associations romaines, quelque prétexte qu’elles prennent, quelque nom qu’elles se donnent.

C’est ainsi qu’il arrivait souvent qu’on ne s’associait que pour remplacer la famille et la patrie absentes. Les étrangers, quand ils ne voulaient pas se trouver isolés dans les villes où ils venaient se fixer, n’avaient que deux ressources : ou bien ils se faisaient agréger aux collèges du pays et se procuraient ainsi des relations et des amitiés toutes faites, ou, s’ils étaient en grand nombre, ils s’associaient entre eux. C’est ce qui arrivait surtout dans les grandes villes de commerce, où les voyageurs et les négocians affluaient de toutes les parties du monde. Les habitans de la ville phénicienne de Béryte établis à Pouzzoles y formaient un collège riche qui possédait un champ de 7 arpens, avec une citerne et des bâtisses. Il y avait deux collèges de négocians asiatiques à Malaga. Chez les Bataves, aux extrémités du monde romain, nous trouvons un collège des étrangers (collegium peregrinorium) où devaient se rassembler tous ceux que le commerce avait entraînés dans ces contrées barbares. Les Romains, qui s’étaient abattus avec tant d’avidité sur les provinces conquises et qui les exploitaient en maîtres, sentaient le besoin de s’associer pour se défendre au milieu de ces pays qui les détestaient. C’est sans doute à cette origine qu’il faut rapporter ces collèges des gens de la ville (collegia urbanorum) dont il est question dans les inscriptions de l’Espagne. La ville par excellence, c’était Rome, et l’on comprend bien que les Romains égarés dans la Bétique ou la Lusitanie aient aimé à se rapprocher et à vivre ensemble, à peu près comme nos émigrés dans les contrées les plus lointaines cherchaient tous les moyens de se réunir pour causer de Paris. Les vieux soldats, qui avaient presque toujours vécu dans les provinces éloignées, sur les frontières de l’empire, ne devaient plus connaître personne lorsque, après avoir reçu leur congé, ils rentraient dans leur pays. Aussi voyons-nous qu’ils y forment des associations sous le titre de vétérans de l’empereur (veterani Augusti). Les vétérans de l’empereur ne pouvaient manquer de jouir d’une certaine considération dans ces petites villes qui étaient si fières de se choisir pour magistrat quelque centurion en retraite. C’est probablement aussi le même motif qui a rendu si fréquens dans l’empire les collèges de comédiens. Jamais le goût des spectacles n’a été aussi vif qu’alors; il n’y a pas de ville de province, dans les contrées les plus éloignées et en apparence les plus barbares,