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clave, le banquier Calliste, s’assoit sur la chaire de Pierre, qu’avait occupée un Cornélius. Enfin les repas communs ont autant d’importance dans les réunions des chrétiens que dans les associations païennes; l’église célèbre dans toutes ses fêtes le festin fraternel des agapes, et, pour honorer les martyrs, les fidèles dînent sur leurs tombeaux à l’anniversaire de leur mort. On sait combien les évêques eurent de peine à détruire plus tard ces usages quand ils furent devenus des abus, et que d’éloquentes invectives saint Augustin dut prononcer contre « ces adorateurs de sépulcres qui, en servant des repas aux cadavres, s’ensevelissent vivans avec eux. »

Ce sont là des ressemblances qui frappent au premier abord et qu’on est même tenté d’exagérer quand on regarde à distance; dès qu’on s’approche, les différences se montrent. Sans vouloir diminuer les services que les collèges ont rendus à l’humanité, il faut reconnaître que le bien qu’ils ont fait n’a pas dépassé certaines limites, et surtout qu’il est souvent resté à la surface. Il leur a manqué pour atteindre la société dans ses profondeurs cette force que donne un principe et que rien ne remplace. C’est dans le sentiment religieux que le christianisme a trouvé la puissance de renouveler le monde. Ce sentiment dans les collèges s’était fort attiédi; il n’était plus assez énergique pour communiquer aux âmes l’élan nécessaire à l’accomplissement des grands desseins. Si l’on veut connaître les merveilles que la foi fait accomplir, on n’a qu’à comparer les caves exiguës des columbaria avec ces immenses galeries des catacombes qui ont 580 kilomètres d’étendue et qui mises au bout l’une de l’autre égaleraient la longueur de l’Italie; les collèges n’étaient pas capables de si grands efforts. On a fait voir que l’égalité régnait chez eux, c’était un précieux avantage; et même il ne faudrait pas prétendre, comme on l’a fait, qu’elle s’arrêtait brusquement à la porte de la schola. L’effet devait s’en faire sentir plus loin. Ces pauvres esclaves, accoutumés aux mépris et aux insultes, étaient traités là avec égard. Quand ils avaient revêtu pendant quelques heures la robe des magistrats et qu’on les avait salués respectueusement au passage, ils revenaient sans doute chez eux avec une idée plus nette de leur dignité, ils devaient être tentés de se dire au retour qu’après tout ils étaient des hommes comme les autres, et ce sentiment était bon; le dernier degré dans la servitude, c’est de n’en plus être choqué, de la croire légitime, d’accepter sans répugnance les outrages qu’on reçoit. Plus la situation qu’on occupe est basse, plus, suivant la belle expression de Mme de Sévigné, c’est un devoir de se relever le cœur. Il faut pourtant avouer que l’influence des collèges ne parvint guère à changer la condition des esclaves. L’égalité ne pénétra que très discrètement dans la maison du maître.