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moyens seulement se présentent au Turc asiatique pour augmenter ou pour conserver son capital : ou bien accumuler des pièces de monnaie et les dérober aux yeux du public, au risque qu’elles soient découvertes et volées, ou acheter des vêtemens luxueux et des bijoux pour les femmes de sa famille, ou enfin prêter aux misérables besoigneux à des taux d’intérêt qui s’élèvent jusqu’à 60 pour 100. Quel que soit celui de ces trois emplois qui suit préféré, le résultat est absolument le même pour le pays : jamais l’épargne ne se change en capital vraiment digne de ce nom, c’est-à-dire en agent de production; elle garde toujours la forme de trésor, c’est-à-dire de ressource enfouie ou perdue pour la société. Les classes riches et élevées ont des mœurs qui ne diffèrent guère de celles des classes pauvres : leurs maisons sont plus spacieuses, il est vrai, mais elles ne sont guère plus commodes ni mieux tenues. De grandes fortunes se font par la pratique habile et prudente de l’usure; mais ce sont des fortunes honteuses qui craignent de se montrer au grand jour et qui ne servent pas à susciter, à entretenir et à commanditer les entreprises dans le pays. Chacun craint la jalousie publique et la voracité du fisc. C’est ainsi qu’un pays dépérit, parce que le capital ne peut se former ou qu’il n’ose tout au moins se montrer.

Si malheureuse et si précaire que soit la condition de ces populations, l’homme d’énergie et d’intelligence, dans quelque rang qu’il soit né, peut encore se faire un chemin et arriver à l’aisance ou à la fortune. Le batelier ou le porteur de Trébizonde, le tisserand de Van, s’ils savent conduire leur vie avec discernement, parviennent encore à amasser quelques ressources. Il leur suffirait de retarder un peu l’époque de leur mariage, — d’accumuler pendant quelques années le superflu de leurs salaires. Dans tous les pays du monde, l’ouvrier célibataire gagne autant que le père de famille en ayant des charges moitié moindres. S’il savait profiter de cette période d’aisance pour se faire quelques épargnes, il pourrait se marier dans de meilleures conditions et élever peu à peu le niveau de sa destinée. Malheureusement le Turc asiatique est presque toujours privé de l’esprit de prévoyance; sa préoccupation dans sa jeunesse est de se préparer d’opulens festins de noces, la cérémonie du mariage engloutit toutes ses économies et engage même souvent son avenir pour plusieurs années. Tout mariage, dans les habitudes du pays, entraîne huit jours de grande chère ou d’orgie; des misérables que l’on eût pris pour des mendians trouvent le moyen de dépenser à cette occasion 700 ou 800 francs.

Les ressources de l’Asie-Mineure sont telles que les Européens ne désespèrent pas de ranimer ce pays et de le rendre à la civilisation. La région montagneuse abonde en mines qui s’annon-