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cent comme devant être productives. Une grande partie du sol est merveilleusement propre à la culture de la vigne, et donne à bon marché un vin excellent; les matières premières pour les manufactures, soit le coton, la laine, la soie, le lin, le chanvre et des substances colorantes de grand prix, s’y rencontrent aussi. Que le capital vienne féconder ces richesses naturelles, et la contrée recouvrera la prospérité qu’elle avait il y a des siècles. Déjà quelques essais ont été faits, principalement par des Allemands. Depuis vingt ans, une fabrique de soie et une minoterie, fondées en Anatolie, dans la ville d’Amasieh, par quelques industriels entreprenans du sud de l’Allemagne, fonctionnent avec succès. Une colonie de cultivateurs allemands est en train de se constituer près de la ville d’Angora, dont les environs sont renommés pour la qualité des toisons de chèvres. Ces tentatives se généraliseront-elles? Peut-être prendront-elles quelque essor par l’exécution des chemins de fer projetés de l’Europe aux Indes à travers l’Asie; mais pour que le capital se porte dans ces contrées et pour qu’il s’y développe, il faut un certain degré de sécurité politique et sociale; or cette condition n’existe pas dans la Turquie d’Asie. Il n’y a que la protection énergique des consulats et une vigoureuse intervention de la part des grandes puissances de l’Europe qui pourraient permettre aux entreprises de se répandre et de fructifier dans ce pays. Le rescrit de la Porte, en date du 18 juin 1867, portant que tous les colons de nationalité étrangère seront soumis aux lois, à la juridiction et à la fiscalité ottomanes, n’est pas de nature à encourager les immigrans.

Cet exemple de contrées naturellement si riches, autrefois si prospères, aujourd’hui si délaissées, ne doit pas être perdu pour les peuples européens. Voilà ce que deviennent les pays où le capital est poursuivi et étouffé; rien ne peut les sauver de la décadence : ni la fertilité du sol, ni la clémence du climat, ni l’excellence de la position géographique ne sont d’aucun secours quand la sécurité fait défaut. Supposons que le parti radical triomphe en Europe, qu’il applique à outrance ses doctrines d’impôt progressif et d’égalité excessive, qu’il soumette l’industrie à une législation arbitraire, qu’il poursuive et traque la richesse individuelle, — que d’un autre côté les inimitiés et les guerres entre les peuples persistent ou se renouvellent, on verra l’occident de l’Europe s’acheminer vers un état de choses sinon identique, du moins analogue à la situation actuelle de l’Asie. Sans doute il faudrait une longue suite d’années pour que le mal eût la même intensité; mais il suffirait d’une série de crises à intervalles rapprochés pour que la décadence commençât, lente d’abord, puis bientôt rapide. Quelques secousses comme celles des années 1870 et 1871, la domination pendant quelque