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à l’enseignement. On ne peut trop se pénétrer de cette vérité, que la science est la source de toute prospérité économique et de toute puissance militaire, de même que l’enseignement populaire est la base de toute démocratie raisonnable et la condition de toute république viable. Il faut donc doter largement ces services, dût-on même enlever quelque chose aux corps de ballet ou aux vaisseaux cuirassés. Ne pouvant restreindre le suffrage universel, il faut au moins l’éclairer.

Une autre question se rattache encore à celle du suffrage, c’est celle de la représentation des minorités. Elle a vivement occupé l’Angleterre pendant ces dernières années, et différentes réformes ont déjà été introduites et appliquées. En France, ce problème n’a pas encore eu le privilège d’attirer l’attention publique, quoique plusieurs publicistes en aient signalé l’importance[1]. Le système de votation généralement en usage sur le continent aboutit à ce regrettable résultat, que les minorités ne sont point représentées en raison de leur force numérique ; il arrive même que la majorité, qui dans le parlement dispose du gouvernement, représente non la majorité, mais la minorité des électeurs. C’est ce qui a eu lieu par exemple en Belgique aux dernières élections. Le nombre total des voix obtenues par les candidats libéraux était plus grand que celui réuni par les candidats cléricaux, et cependant ceux-ci avaient un plus grand nombre de leurs candidats élus. Ce résultat, tout à fait en opposition avec l’essence du régime représentatif, très dangereux pour la stabilité des institutions parlementaires, pourrait se produire en France, avec le scrutin de liste par département, d’une façon bien plus grave encore. Supposez que l’un des partis nomme un peu plus de la moitié des députés dans des élections très disputées et à de fort petites majorités, et que dans les collèges électoraux où il est battu il n’ait presque pas de voix ; dans ce cas, le parti vaincu sera en minorité dans la chambre, quoiqu’il ait eu pour lui la grande majorité des électeurs. En effet, il a eu d’une part presque l’unanimité et de l’autre presque la moitié des voix, donc au total un peu moins des trois quarts. Le parti qui n’en aura obtenu qu’un peu plus du quart désignera le ministère et constituera le gouvernement. Un mode d’élection qui rend possible un résultat aussi monstrueux n’est-il point par cela même condamné à disparaître ? Plus un collège électoral est étendu ; plus la minorité est sacrifiée. Faites de toute la France un seul collège électoral, et la moitié des électeurs plus un nommera tous les

  1. Voyez notamment une étude sur cette question par M. Aubry-Vitet dans la Revue du 15 mai 1870.