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menacée de voir restreindre le contrôle qu’elle exerce sur les communes. Ces deux termes de nos relations intérieures seraient donc diminués, et cela au profit de deux divisions de création récente et d’existence purement légale : le canton et le département. La lutte va s’engager à l’assemblée nationale entre les défenseurs de cette féconde dualité : l’état et la commune, et les défenseurs des nouvelles divisions territoriales qui aspirent à prendre leur place.


II

Centraliser au chef-lieu de canton quelques-uns des services actuellement placés dans les attributions des conseils municipaux, énerver l’individualité communale et celle de l’état au profit d’une agglomération fictive dénuée de vitalité, tel est le premier effort de l’œuvre dite de décentralisation. Créer une foule de petits centres factices avec les dépouilles arrachées à l’état et à la commune, tel est le projet, et, s’il peut paraître modeste dans ses dispositions présentes, on doit le considérer comme redoutable, car il accuse des tendances autrement exigeantes et dont les suites seraient désastreuses. Amoindrir l’état, amoindrir la commune, ces deux personnalités énergiques dont la force se traduit quelquefois par de violentes explosions, y substituer des pouvoirs intermédiaires, simples divisions administratives et impersonnelles, ce serait sans doute rendre les révolutions plus difficiles, mais on n’atteindrait ce but qu’aux dépens de la vitalité du pays. Le docteur Sangrado saignait ses malades jusqu’à la dernière goutte de sang pour leur ôter la fièvre, et il les guérissait en effet radicalement. Qui donc voudrait pour la France d’une pareille guérison ?

Morceler n’est pas décentraliser ; si l’on veut activer la vie publique, encore faut-il s’adresser à des êtres viables. Le canton n’est pas une personne viable. Qu’est-ce en effet que le canton ? Quels intérêts représente-t-il ? Simple circonscription administrative et judiciaire, il est soumis à la juridiction d’un juge de paix, possède un receveur de l’enregistrement, et sert quelquefois de poste à un agent-voyer, employé de l’administration supérieure. Le canton élit un conseiller-général, il élit aussi un ou plusieurs conseillers d’arrondissement ; enfin le chef-lieu de canton a quelquefois servi de point de réunion pour les élections politiques, mais cette dernière attribution était trop antipathique aux électeurs, il a fallu y renoncer. De propriétés, le canton n’en a jamais eu ; d’existence propre, il n’en a eu que sous le directoire ; il n’a pas d’histoire, il n’a pas de traditions, il ne dit rien au cœur des populations, il ne dit rien à leurs intérêts. Entre l’amour de la patrie et l’amour du clocher natal, il n’y a point place pour un patriotisme cantonal. En