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les plus dégoûtans et les plus injurieux. La propagande anabaptiste. eut ainsi un centre, et elle pervertit une foule de gens simples et. ignorans. Luther, personnellement attaqué, prêcha la croisade contre ce qu’il appelait justement l’esprit de révolte ; mais sa position était fausse, car les sectaires ne manquaient pas de lui rappeler que le premier il avait fait appel au droit d’examen. Ils le traitaient d’hypocrite, de valet des princes, et opposaient ses principes à l’attitude qu’il prenait vis-à-vis des réclamations du peuple, dont Münzer se proclamait le défenseur.

L’alliance était donc conclue entre les radicaux en matière de réforme religieuse et les paysans, car les premiers avaient adopté une partie du programme des seconds. Luther ne pouvait plus songer à s’unir à des hommes qui ruinaient sa doctrine et qui repoussaient toute autorité ; aussi sépara-t-il de plus en plus sa cause de la leur. En mars 1522, il déclarait, dans l’écrit que l’électeur de Saxe présenta en son nom à la diète de Nuremberg, qu’il respectait l’autorité impériale, et cette même année il faisait imprimer son Véritable avertissement à tous les chrétiens pour les mettre en garde contre la rébellion et la révolte, où il s’efforçait de retenir les novateurs et les mécontens. Quand le mal eut fait des progrès alarmans, il appela sur les rebelles toutes les sévérités des magistrats ; les paysans lui apparaissaient alors comme une classe qu’il fallait tenir en bride, à laquelle il était dangereux de laisser prendre des libertés. « Si les paysans deviennent les maîtres, s’écriait-il, le diable deviendra abbé. » Loin de condamner les corvées, il en voulait le maintien, car il déclarait à Henri de Einsiedel que l’homme du peuple devait supporter des fardeaux, sinon il deviendrait trop mutin. Enfin, quand l’insurrection eut éclaté, il se montra sans pitié pour les rebelles. « On ne doit aux paysans, écrivit-il alors, ni indulgence ni pitié. Rien pour eux que la colère de Dieu et des hommes. Il faut les traiter comme des chiens enragés… Tuez, frappez, assommez ! » Mélanchthon, malgré sa douceur, tenait le même langage, et qualifiait les anabaptistes de secte diabolique qu’il fallait extirper. Et cependant ce peuple sur lequel le grand réformateur appelait la vengeance divine et humaine, c’était celui qui avait épousé sa révolte contre l’église, contre l’autorité ; c’est dans ses écrits qu’il avait trouvé les encouragemens à la résistance. Franz de Sickingen et les autres chevaliers qui prirent les armes contre l’empire en alléguant l’oppression des petits états étaient les amis et les complices de Luther. Les gens des campagnes n’avaient fait qu’imiter leur exemple. Voilà ce que répétaient les hommes plus prudens et plus impartiaux en entendant ces discours si différens de ceux qui étaient d’abord sortis de la bouche du bouillant moine