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recevoir pour faciliter l’opération du soufrage : ces enfans travaillaient treize et quatorze heures par jour ; ils avaient l’aspect de véritables cadavres… » Évidemment de tels faits sont l’exception, mais c’est déjà trop qu’ils puissent exister. Cette violation de la loi par un certain nombre d’industriels a encore pour effet de paralyser les bonnes intentions de ceux qui voudraient la respecter. La concurrence les empêche de limiter le travail des enfans qu’ils emploient. On voit se produire ce qui est arrivé en Angleterre avant l’établissement d’une législation uniforme. Aujourd’hui, d’après les dernières statistiques[1], sur soixante et un départemens qui possèdent des manufactures occupant des enfans, il y en a environ la moitié où la loi de 1841 reste sans effet.

Cette situation émeut depuis longtemps l’opinion publique. Les préoccupations qu’elle fait naître se sont déjà manifestées à l’assemblée nationale. Suivant le bon exemple du père de Robert Peel et des manufacturiers de l’Alsace, c’est un industriel important qui cette fois encore a donné le signal. M. A. Joubert, député, est l’auteur d’un projet de loi qui vient d’être l’objet d’un long rapport émané d’une commission spéciale, laquelle à son tour propose à la chambre une législation complète. Ces divers documens sont dignes d’une sérieuse étude. Voici en quelques mots les conclusions de la commission.

Le projet propose d’abord d’étendre le domaine d’application de la loi. Au lieu de se borner aux ateliers occupant plus de 20 ouvriers, elle réglementera le travail de tous les enfans employés « hors de la famille, sous les ordres d’un patron, » dans les manufactures, ateliers et chantiers, quels qu’ils soient. C’est là une réforme réclamée depuis longtemps. Les petits ateliers doivent être au moins autant que les grands soumis à une surveillance rigoureuse. Dans les vastes usines, le contrôle est facile, l’aménagement de la fabrique est en général favorable à la santé des ouvriers ; il y a de l’air, de l’espace, de la lumière. Le patron est le plus souvent un homme éclaire qui traite avec une certaine humanité ceux qui travaillent sous sa direction. Au contraire, dans les petits ateliers, les abus sont faciles. Les dispositions matérielles sont parfois déplorables ; l’espace est étroitement mesuré, la chaleur accablante, le froid excessif. Pas de règle de travail comme dans les fabriques ; quand l’ouvrage presse, on passe les nuits. L’enfant est obligé de faire comme son patron, et de s’imposer des fatigues extrêmes. Dans les momens de chômage, l’ouvrier s’absente, il reste une

  1. Bulletin de la Société de protection des apprentis, février 1872, discours de M. Charles Robert.