Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/460

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Pourquoi tant de combats, de larmes, de regrets,
Et tant de tristes choses ;
Et pourquoi Dieu voulut que je fusse un cyprès
Quand vous étiez des roses.

Il faut regretter que l’Année terrible ne se termine pas sur ces images doucement attristées. En effet, il ne dépend pas de nous que ces mois funestes ne laissent chacun le souvenir d’un désastre ; mais nous avons bu le calice jusqu’à la lie, — pourquoi jeter d’avance sur l’avenir le deuil de nos afflictions ? L’avenir, ce sont ces têtes blondes qui réjouissent encore le cœur de l’homme accablé par les douleurs plus que par les années. La France ne finit pas avec nous : ses blessures se fermeront ; tous peuvent quelque chose pour les cicatriser, tous le doivent pour elle, pour les enfans qui la reverront heureuse et riante, et se souviendront que nous y avons contribué par le courage et l’esprit de sacrifice.

Le poète qui aurait écrit l’Année terrible telle que nous l’aurions voulue, c’est-à-dire sans acception de parti, n’est pas un homme idéal : nous le connaissons tous, il est l’auteur de tant d’œuvres admirables qui vont des Orientales au volume des Rayons et des Ombres. Dans cette période, il avait une idée plus sévère, plus jalouse de la poésie, et savait le peu que vaut un titre, une faveur de la multitude, une parcelle du pouvoir chèrement achetée. Alors il ne flattait personne, pas même un peuple. En revanche, il était entouré de sympathies : il avait pour ami tout ce qui aimait la gloire du pays. Aujourd’hui même, il aura beau faire, il n’empêchera pas que la France, plus soigneuse de la renommée du poète que lui-même, le cherche toujours dans ces années fécondes et pures ; il ne fera pas que la postérité ne le replace dans cette époque de calme où il était indépendant. Là est son midi dans la carrière qu’il a fournie, là est l’unité de son talent malgré les efforts qu’il a faits pour déconcerter l’histoire. Il avait ressaisi son libre génie, et ne l’avait pas encore attelé à ce char que tirent en tout sens les ambitieux. M. Victor Hugo se trouvait à égale distance des deux excès où le tempérament de son talent l’a fait tomber. On lui a reproché d’être radical après avoir été royaliste et vendéen, on a vanté les Odes et ballades au détriment des recueils qui ont succédé. Nous avons toujours tenu cette façon de juger pour un lieu-commun : les uns réservent ainsi la plus belle palme pour le chantre du droit divin, les autres pour le novateur circonspect et modéré ; par ce procédé, on le réclame pour la monarchie ou on l’attire à l’école classique. A notre avis, l’écrivain n’est lui-même qu’à partir de 1826, dans la dernière partie de ce recueil, et il demeure ce que la nature selon toute apparence lui avait ordonné d’être, un homme étranger à nos disputes, sans être indifférent à nos épreuves, jusqu’au moment où