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deur et d’attention que des valets de ferme salariés, car ils seront soutenus par l’intérêt individuel, puisqu’ils participent directement aux produits de leur labeur.

La réunion dans les mêmes mains du capital et du travail, que l’on s’efforce de réaliser dans l’Occident par les sociétés coopératives, se trouve ici complètement en vigueur, avec cet avantage que le fondement de l’association est non pas l’intérêt seul, mais l’affection et la confiance que créent les liens du sang. Les sociétés coopératives de production n’ont eu jusqu’à présent, sauf de rares exceptions, qu’une existence éphémère, tandis que les communautés de famille, qui ne sont autre chose que des sociétés de production appliquées à l’exploitation de la terre, existent depuis un temps immémorial, et sont le véritable fondement de l’existence économique d’un groupe puissant de populations pleines de vigueur et d’avenir.

Le nombre des crimes et des délits est moindre chez les Slaves méridionaux que dans les autres provinces de l’empire hongro-autrichien, et cela semble provenir de l’influence favorable qu’exerce l’organisation agraire des zadrugas. Deux causes contribuent à ce résultat. D’abord presque tout le monde a de quoi satisfaire à ses besoins essentiels, et cette grande source de méfaits, la misère, n’apporte qu’un assez faible contingent aux tables de la criminalité. En second lieu, les individus vivent, au sein d’une famille nombreuse, sous le regard des leurs; ils sont contenus par cette surveillance involontaire de tous les instans; ils ont d’ailleurs une certaine dignité à conserver, ils ont une position, un nom, comme les nobles des pays occidentaux, et on peut leur appliquer aussi le proverbe : noblesse oblige. Il paraît évident que cette vie de famille doit exercer une action moralisante. Elle développe la sociabilité. Le soir à la veillée, le jour au travail et aux repas, tous les membres de la famille sont réunis dans la grande chambre commune, ils causent, ils se communiquent leurs idées; l’un ou l’autre chante ou raconte une légende. Il s’ensuit qu’il ne leur faut pas aller au cabaret pour chercher des distractions, comme le fait l’individu isolé, qui se dérobe ainsi à la monotonie et au silence du foyer.

Dans ces communautés de familles, l’attachement aux traditions anciennes se transmet de génération en génération ; elles sont un puissant élément de conservation pour l’ordre social. On sait la force extraordinaire que la gens a communiquée à la république romaine. Comme le dit M. Mommsen, la grandeur de Rome s’est élevée sur la base solide de ses familles de paysans propriétaires. Tant que la terre est aux mains des communautés de familles, nulle révolution sociale n’est à redouter, car il n’existe aucun ferment de bouleversement.