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Hübner montre prudente et avisée jusqu’à son dernier jour, lequel suivit de près le meurtre de Blois. Elle avait soixante-dix ans, et gisait souffrante et alitée, lorsque le 23 décembre un mouvement extraordinaire dans le cabinet du roi, situé au-dessus de sa chambre, à Blois, lui révéla quelque étrange événement, dont elle apprit bientôt le détail. Son fils s’était caché d’elle, craignant d’être détourné de son dessein. Elle en fut en effet désolée, et sa perspicacité lui montra la perte de son fils au bout de cette atrocité. Son saisissement fut tel qu’elle voulut s’en expliquer avec les victimes; mais son habileté perfide était suspecte à tout le monde, et personne ne la crut innocente du complot. Elle se fit porter chez le cardinal de Bourbon, prisonnier dans le château et malade comme la reine. Loin d’être sensible à cette preuve d’intérêt, le vieillard s’écria dès qu’il vit Catherine : « Ah! madame! madame! ce sont là de vos tours. Madame, vous nous avez amenés tous à la boucherie. » Desquelles paroles, dit Lestoile, elle s’émeut fort, et lui ayant répondu « qu’elle prioit Dieu qu’il l’abimast et damnast si elle y avoit jamais donné ni sa pensée ni son avis, sortit incontinent disant ces paroles : je n’en puis plus; » et de ce pas elle se remit au lit, où elle expira dix jours après. Cette mort eut un faible retentissement au milieu des tempêtes soulevées par la tragédie de Blois; mais le roi, qui avait dû à sa mère quelques bons conseils dont il ne profita guère, perdit peu de chose à sa mort. L’esprit de cette femme forte avait sensiblement baissé depuis quelques années. Justement punie de son affection immodérée pour Henri III, elle avait vu son influence diminuer, alors qu’elle espérait en jouir avec plénitude. Négligée par ce fils ingrat, brouillée avec Henri de Béarn, son gendre, déconcertée par l’ambition démesurée des Lorrains, qu’elle caressait, elle avait fini par se dévoyer complètement. Cette race royale, qu’elle avait vue si belle et si nombreuse, allait s’éteindre dans la honte, et les Bourbons, ses ennemis, se dressaient devant elle comme des héritiers aussi pressés qu’odieux. Une dernière chimère avait bercé cette âme tourmentée, celle de faire passer la couronne aux enfans de sa fille chérie, la duchesse de Lorraine. Égarée par cette erreur indigne de son intelligence et qui ne convenait à personne, elle avait été le jouet de la ligue, dont elle avait espéré faire l’instrument de sa passion; et ce dernier échec de ses calculs avait achevé de désorienter son âme. Vaniteuse, elle mourait déchue de la réputation politique dont sa régence lui avait fait une auréole, funeste à la France, bien souvent, mais du moins brillante pour son esprit. On ne comprenait pas à Rome, à Madrid et surtout à Venise les aberrations de Catherine à cet égard, et une dépêche d’Olivarès nous montre le dépit qu’en éprouvaient les politiques. Les dépêches vénitiennes de Lippomano portent aussi le