Dans le diocèse de Pulati, au témoignage de l’évêque de cette ville, une querelle à propos de quatre cartouches promises et non données amena une vendetta si terrible qu’en deux ans (1854-1856) on compta 1,218 maisons brûlées et 132 hommes morts. Pour tempérer des mœurs si dures, l’usage a fait comme la religion du moyen âge en Occident, il a établi deux trêves annuelles, l’une qui va de la Saint-Antoine à la Toussaint, l’autre du jour des morts à la Saint-Nicolas. Durant ces périodes, l’Albanais s’abstient de toute vengeance ; celui qui attaquerait son ennemi serait condamné au bannissement. L’église et le gouvernement turc se sont souvent efforcés, mais avec peu de succès, de faire accepter une pacification générale qui reviendrait tous les cinq ans. De pareilles mœurs supposent un complet mépris de la vie humaine. C’est qu’en effet les peuples encore barbares la comptent pour peu de chose. Nous trouvons à ce sujet un singulier témoignage dans le code rédigé en 1796 par Pierre Ier pour les Monténégrins : « celui qui vole un bœuf sera chassé comme celui qui tue un homme sans motif légal, car en volant le bœuf ou le cheval d’autrui il cause la douleur et les larmes de toute une famille plus que s’il avait tué une personne, surtout si la personne est pauvre et n’a pas d’autre bœuf ni d’autre cheval. » D’autres articles n’indiquent pas une plus haute estime de la vie de l’homme. « Si quelqu’un frappe un de ses frères monténégrins avec le pied ou avec la main, ou avec le tchibouck, et que l’agresseur soit tué, la justice devra considérer ce mal comme un meurtre involontaire. Si un Monténégrin, étant outragé, tue celui qui l’a offensé, il ne sera point inquiété. » L’édit cependant commence par un beau préambule et déclare que ces lois sont faites pour que le peuple de la Montagne-Noire se gouverne désormais à l’exemple des nations les plus civilisées de l’univers.
L’usage de la compensation en argent pour le meurtre a été général dans toute l’Europe aux débuts du moyen âge. Il se retrouve par exception chez les Slaves du sud. Les voyageurs l’ont signalé dans le Nouveau-Monde et dans l’Inde anglaise ; il a toujours été pratiqué par les Albanais, qui le conservent encore. C’est qu’en effet, à moins de supposer que les vendettas ne finissent jamais, elles ne peuvent se terminer que par une compensation. Comme il n’y a pas d’autorité supérieure, qu’on ne peut songer ni à la prison ni à une autre peine qu’un pouvoir public fasse exécuter, force est à deux tribus, quand elles sont lasses de vengeances, d’arriver à un arrangement, d’expier le meurtre et l’incendie en donnant le