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Connaissance exacte du personnage qu’il s’agit de représenter. Se borner aux traits les plus généraux serait en donner une représentation vague, tous les hommes se ressemblant par les traits généraux et les habitudes générales ; ce qui les différencie, c’est un geste favori, une attitude propre, un accent particulier de physionomie ; c’est là ce que l’artiste doit reproduire, s’il veut être vrai, et créer un portrait qu’on ne puisse confondre avec aucun autre. Cette opinion est parfaitement juste à la condition que ce geste, cette attitude et cet accent de physionomie seront logiques, réguliers, harmonieux ; mais quoi, si ce geste est par hasard un tic, et si cet accent de physionomie est une grimace ? Ces sortes d’accidens ne sont point rares chez les hommes éminens, surtout chez ceux qui appartiennent à un ordre strictement intellectuel, car la profession et les préoccupations habituelles de l’intelligence infligent au corps certains gauchissemens qui, loin d’être des grâces, sont parfois de véritables difformités. C’était, paraît-il, le cas pour Monge ; le geste que l’artiste lui a prêté ne saurait avoir été inventé par caprice, et n’a certainement été adopté que sur des indications d’une exactitude et d’une précision malencontreuses. Il est extrêmement difficile de faire comprendre la nature de ce geste, tant il est particulier et bizarre, et cette difficulté suffirait seule à prouver à quelle exagération l’artiste a été poussé par sa théorie. Monge est évidemment en train de faire une démonstration mathématique ; son bras est soulevé horizontalement, et replié de manière à faire saillir le coude comme un angle aigu ; au bout de ce bras ainsi soulevé et replié, pend une main recourbée mollement, comme une serre d’oiseau frappée d’impuissance, et de cette main se détache un index, qui lui-même se recourbe comme un signe d’orthographe de fantaisie. Tâchez d’imaginer une sorte de triangle difforme et sans base, et au bout d’une des deux lignes de ce triangle suspendez une énorme virgule, voici le geste que le sculpteur a prêté à Monge. Il est incontestable que l’artiste n’a introduit ce détail dans son ouvrage qu’après avoir consulté les souvenirs d’anciens élèves ou d’anciens amis de Monge, dont il aura scrupuleusement copié la pantomime imitative. Une pareille exactitude serait bizarre même dans un portrait, et cependant la peinture a bien plus de liberté que la sculpture ; dans une statue monumentale, elle est choquante au plus haut point, d’abord parce qu’elle introduit, sous prétexte de vérité, une complication alambiquée et subtile à l’excès dans un art qui réclame avant tout de la simplicité, ensuite parce qu’elle fait prédominer un détail sur l’ensemble avec tant de force que la statue a l’air d’avoir été faite pour ce seul détail, enfin parce qu’elle fait descendre la sculpture monumentale de sa dignité, et la rend en quelque sorte anecdotique. Une statue monumentale doit être