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s’agit et l’idée qu’on s’en faisait. Ce serait pourtant montrer trop de scrupule que de ne pas mentionner au moins l’opinion la plus répandue sur ce point. Or on croit fermement à Vienne et ailleurs que de projet primitif de M. de Bismarck consistait à préparer urne alliance entre l’Allemagne et l’Autriche. On ajoute que M. de Bismarck, mettant à profit la haine des Austro-Allemands et des Austro-Hongrois pour les Slaves, espérait entraîner l’Autriche dans une guerre contre la Russie. Eût-il été difficile à un homme tel que lui de faire briller aux yeux de l’Autriche les avantages de cette guerre ? Insister sur le danger perpétuel que causent à la monarchie des Habsbourg ces 16 millions de Slaves revendiquant leurs droits, prouver que l’occasion serait bonne d’en finir, montrer d’avance la Russie vaincue, amoindrie, et destituée pour longtemps de ce protectorat des Slaves du sud qui la rend si redoutable à l’Autriche et à la Turquie, tout cela eût été un jeu pour le chancelier de l’empire d’Allemagne. Il est bien entendu que l’empire d’Allemagne avait aussi sa part de bénéfices dans une telle entreprise, M. de Bismarck n’était pas inspiré seulement par le désir fraternel de sauver l’Autriche, Supposez que cette combinaison ait été réellement faite, on devine aisément quelle place devaient y trouver les plans ultérieurs de M. de Bismarck. La Russie vaincue aurait été. contrainte de se laisser arracher ses provinces allemandes, la Courlande, l’Esthonie, la Livonie. — Provinces allemandes, ai-je dit ? Oui, allemandes d’origine, de langage, mais profondément russes de cœur et d’âme, aussi russes que l’Alsace et la Lorraine sont françaises. Après cela, que serait devenue l’Autriche ? Les Allemands de l’archiduché n’eussent-ils pas été attirés de plus en plus par la fascination de l’empire germanique ? Les Slaves de Bohême et de Croatie n’eussent-ils pas été pour l’empire germanique un moyen de désintéresser la Russie ? Le panslavisme, de façon ou d’autre, eût été la conséquence inévitable du pangermanisme. De cette réunion de peuples qui composent l’empire des Habsbourg, et qui, sous des institutions libres fortement établies, auraient pu former une fédération monarchique si puissante, la Hongrie seule serait restée debout, l’Autriche eût disparu de la carte.

Il est probable que les Hongrois, malgré la haine aveugle qu’ils portent aux populations slaves, n’auraient pas tardé à comprendre dans quel abîme une telle politique les eût précipités. Après avoir prêté l’oreille aux propositions de M. de Bismarck, M. le comte Jules Andrassy se serait-il tout à coup ravisé ? Est-ce lui qui aurait demandé à M. de Bismarck que l’empereur de Russie assistât aussi à l’entrevue de Berlin ? Est-ce l’empereur d’Autriche qui aurait personnellement exprimé ce désir ? ou bien enfin est-ce l’empereur de Russie en personne qui, soupçonnant de son côté l’ambition