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caractère est si bienveillant, dont les mœurs semblent si douces, est peut-être celle du monde où l’on se déteste le plus. Un siècle après la révolution française, nous portons encore dans la politique les sentimens haineux des guerres de religion, et voilà les passions déplorables qu’on nous engage à faire épouser au gouvernement du pays ! C’est quand les malheurs de la patrie nous exhortent à nous rapprocher les uns des autres, quand l’union de toutes les forces nationales est devenue une nécessité suprême, qu’on veut faire décréter solennellement l’état de guerre entre les partis, et leur infliger par avance une sorte de damnation éternelle !

Si telles étaient vraiment les conditions de l’adhésion des conservateurs à la forme républicaine, le gouvernement devrait en désespérer. Ce qu’on lui demande, ou, pour mieux dire, ce qu’on exige de lui, c’est qu’il fasse aux républicains radicaux un procès de tendance, et qu’il châtie leurs intentions présumées sans attendre leurs actes. Or jusqu’ici le gouvernement et les conservateurs sincères n’ont contre ce parti aucun sujet de plainte bien grave. Sans doute son calme même éveille quelques défiances ; certaines gens ont beaucoup plus de peine à lui pardonner les marques de modération qu’il a données que les retours de violence auxquels il se laisse aller de temps à autre ; mais il serait difficile de lui faire un crime tout à la fois de sa sagesse, quand il est sage, et de sa folie, quand il cesse de l’être. S’il est bien vrai, comme on aime à le dire, et comme quelques-uns de ses adhérens se plaisent sottement à s’en vanter, qu’il joue une comédie devant la France et devant l’Europe, c’est dans tous les cas une comédie utile à notre repos, et, bien loin de vouloir y mettre fin, il faut souhaiter qu’elle dure longtemps. Un parti qui a assez de discipline et d’esprit politique pour contenir ses impatiences et dominer ses passions, même dans l’espoir de les satisfaire un jour, n’est pas si incorrigible et si ingouvernable qu’on voudrait le croire. Si la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse, l’intérêt bien entendu est le commencement de la bonne politique.

Apprenons donc à nous respecter un peu plus et à nous soupçonner un peu moins les uns les autres ; sinon, les anathèmes des monarchistes justifieraient la défiance et les rancunes du parti radical. On n’aurait plus le droit de reprocher à M. Gambetta son éloquence fanfaronne et ses dénonciations brutales, si l’on ne cessait de dénoncer les républicains au mépris public. Les hommes sont au fond bien plus sincères et bien moins perfides qu’ils ne le croient eux-mêmes. Ce qu’ils pratiquent longtemps, ils finissent par le penser ; c’est sur la puissance de l’habitude qu’il faut compter pour tempérer l’ardeur des radicaux. Les conversions les plus