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rait pu essayer de briser violemment des entraves antipathiques à son caractère essentiellement militaire et même, paraît-il, facilement emporté. Il n’est donc pas étonnant que, dans les premières années de son règne surtout, il ait subi son ministre Thorbecke plus qu’il ne l’a aimé. Les échos de la résidence retentirent plus d’une fois du bruit des scènes qui se passaient entre le jeune et bouillant souverain et son flegmatique conseiller. Celui-ci ne se laissait pas aisément désarçonner, mais il dut souvent faire appel à toute sa ténacité pour ne pas fléchir sous le poids des irritations royales. Ses adversaires politiques tâchaient de tirer profit de cet antagonisme personnel en le dépeignant à la population comme un tyran du roi et même comme un républicain latent, ennemi secret de la maison d’Orange. C’était le calomnier. Thorbecke voyait dans le maintien de cette famille sur le trône des Pays-Bas la pierre angulaire de la constitution, et il jugeait avec grand sens que, si la république est le seul gouvernement stable là où il n’y a pas de famille royale incontestée, universellement désirée, la monarchie constitutionnelle en revanche est de toute nécessité, si l’on veut vivre libre dans un pays où l’assentiment unanime décerne la primauté permanente du rang et du pouvoir à une famille historique. En pareil cas en effet, la république ne peut avoir qu’une existence précaire, et, pour se maintenir, elle doit recourir aux mêmes procédés arbitraires et oppressifs auxquels sont fatalement condamnées les dynasties forcées de lutter pour leur existence[1]. Au reste, avec les années, les angles s’adoucirent entre le roi et son principal ministre, et même on peut dire que, dans les derniers temps, leurs relations étaient devenues très faciles, presque cordiales ; mais évidemment cette position de persona ingrata ne facilitait pas la tâche du ministre. Soutenu par une majorité décidée, il se maintenait toutefois avec succès au pouvoir, lorsqu’en 1853 un incident imprévu vint le forcer brusquement à se retirer, et c’est de Rome que le coup partit. Ceci demande explication.

Parmi les divers élémens qui composent la population néerlandaise, il en était un qui avait singulièrement profité des changemens survenus depuis la révolution, et surtout depuis l’avénement d’un régime foncièrement libéral : c’était l’élément catholique. Tenus à l’écart sous l’ancienne république, suspects de nourrir des senti-

  1. N’est-ce pas faute d’avoir fait cette importante distinction que tant de bons esprits en France se sont complu récemment dans le rêve d’une restauration monarchique ? Ils eussent probablement adopté une autre solution, si, au lieu de se demander : la monarchie constitutionnelle n’est-elle pas le meilleur régime qu’on puisse souhaiter à la France ? ils eussent envisagé d’abord cette question préalable : les conditions indispensables d’une monarchie constitutionnelle existent-elles en France ?