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La réalité, cela demande plus de temps pour de courtes distances que si les troupes faisaient la route à pied.

Quand au contraire les distances sont grandes, le chemin de fer reprend l’avantage, pourvu qu’il soit exploité par des gens intelligens et actifs. On en trouve la preuve évidente dès le début. Le 14 août, le maréchal Mac-Mahon apparaissait à Neufchâteau avec les débris de son héroïque corps d’armée. Trois jours après, le corps de De Failly arrivait à Langres et Chaumont. Au même moment, le ministre de la guerre prescrivait de ramener le corps de Douai, disséminé entre Belfort et Montbéliard. C’était une masse de 70,000 à 80,000 hommes avec chevaux, bagages et artillerie qu’il s’agissait de transporter au camp de Châlons dans le plus court délai possible. La ligne d’Épinal à Nancy n’était plus libre, celle de Chaumont à Blesme était déjà menacée ; la bifurcation d’Épernay fut même évacuée au cours de cette colossale opération. Néanmoins le transport s’accomplit sans accident et avec une rapidité que personne n’eût osé prévoir. Le 24, cette nouvelle armée était réunie tout entière devant Reims. À ce propos se place une observation qu’il vaut la peine de faire. Quoique les Allemands eussent étudié beaucoup mieux que nous par avance l’emploi stratégique des chemins de fer, il semble certain qu’ils n’en obtinrent jamais une aussi grande quantité de travail. Le règlement qu’ils avaient élaboré en temps de paix avec un soin minutieux fixe au maximum de dix-huit le nombre de trains qu’une ligne à double voie peut admettre en vingt-quatre heures. Or la compagnie de l’Est en a fait jusqu’à trente-quatre en un seul jour entre Châlons et Nancy, et plus tard, en supprimant tout service de voyageurs et de marchandises pendant quelques jours, en donnant à ses trains une marche lente, mais d’une régularité parfaite, elle accomplit les immenses opérations dont il vient d’être question. Il est douteux qu’un règlement eût su prévoir des mouvemens de troupes d’une telle importance. Il faut peut-être en conclure que les règlemens trop précis, que l’on discute à loisir et en dehors de la pression des événemens, ont le grave défaut d’être toujours trop étroits quand les circonstances exigent des efforts exceptionnels. Nous craignons que l’on n’admire un peu trop, l’organisation méthodique des transports au-delà du Rhin. L’état-major prussien avait dressé des plans, préparé des ordres de marche que, par chance extrême, aucun incident fortuit n’est venu déranger. Que serait-il arrivé, si le mouvement de concentration avait été troublé par une irruption imprévue de troupes ennemies ? Auraient-ils su reporter à l’improviste sur une seule ligne ferrée les transports prescrits sur trois ou quatre lignes différentes ? Nous avons obtenu de nos chemins un rendement plus considérable, sans même nous y être préparés. Il y eut sans doute de la confusion, du trouble et des ordres contradictoires. Rien de tout cela ne se fût produit, si nous avions eu, comme eux, auprès