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l’aventure sans avoir pesé ses chances et calculé ce qui pouvait arriver, sans s’être prémuni contre tout ce qui pouvait interrompre, compliquer ou menacer ses opérations, une fois qu’il serait en pleine marche. Il avait d’abord insisté auprès du gouvernement sur deux points. Il avait demandé qu’on assurât par tous les moyens des vivres à son armée et qu’on accumulât les approvisionnemens dans Besançon, qui deviendrait ainsi pour lui une place de ravitaillement et au besoin de refuge. Il avait demandé encore et surtout d’être protégé sur son aile gauche et sur ses derrières contre toute tentative des Allemands par l’ouest, lorsqu’il s’avancerait sur Belfort, après avoir dégagé Dijon et la Saône. Le gouvernement avait tout promis : il avait assuré que la place de Besançon serait comblée d’approvisionnemens, et quant aux Allemands venant de l’ouest, ils seraient surveillés, neutralisés par une force considérable de mobilisés. On ne parlait d’abord de rien moins que de 200,000 hommes. C’était beaucoup plus qu’on n’en pouvait réunir ; il n’en aurait pas fallu la moitié, dans des positions un peu habilement choisies, pour embarrasser ou ralentir l’ennemi, ne fût-ce que pendant quelques jours. De plus Garibaldi serait envoyé à Dijon avec son armée fortifiée pour arrêter les Allemands au passage, s’ils se présentaient, ou pour courir sur eux. Ici seulement commençait à éclater le vice de cette situation. Bourbaki, le chef principal de l’expédition, avait sûrement besoin d’être garanti dans sa marche, il avait un intérêt de premier ordre à savoir ce qui se passait sur son flanc et sur ses derrières, et il ne disposait pas des forces qui étaient censées concourir à ses opérations. Bourbaki n’avait peut-être pas plus envie de commander à Garibaldi que Garibaldi ne se souciait d’être commandé par Bourbaki. Il n’y avait même aucun rapport régulier et suivi entre les deux camps. C’était toujours la même histoire. Le gouvernement restait le grand moteur lointain de ces forces diverses, de sorte que Bourbaki, moins protégé qu’il ne le croyait peut-être, se trouvait exposé à devenir la victime de la plus désastreuse incohérence de conseils et de direction ; mais c’était là encore l’affaire de l’avenir. Pour le moment, il y avait deux conditions premières et essentielles de succès.

Ces deux conditions étaient le secret et la rapidité des mouvemens. Il est de toute évidence qu’il y avait un suprême intérêt à ne rien laisser pénétrer de ce qu’on allait faire, à se dérober aux Allemands et à les tromper, ne fût-ce que pendant quelques jours, de telle façon qu’ils ne pussent s’apercevoir de la grande conversion vers l’est que lorsqu’on serait déjà sur le terrain, à l’heure de l’action. Ce n’était pas facile, j’en conviens ; on pouvait du moins éviter de jeter son secret à tous les vents, et les chemins de fer, en offrant des moyens de célérité, pouvaient aider à utiliser énergiquement les