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statue d’Apollon. Les vierges de Tine ou de Lesbos pourraient encore servir de modèle à Praxitèle. Il existe également sous ce ciel généreux et fécond des âmes dignes de la splendide demeure qu’elles habitent ; mais la masse du peuple, — il serait puéril de le méconnaître, — se ressentira longtemps d’un passé désastreux. Jamais nation n’avait été enfouie sous une couche aussi profonde d’ignorance et de servitude. La renaissance de la Grèce est un phénomène dont l’histoire ne présentera probablement pas un second exemple, et qui ne saurait s’expliquer que par une vitalité exceptionnelle. On en demeurera convaincu, si l’on veut bien jeter avec nous un coup d’œil rapide sur les diverses phases que ce peuple avait traversées depuis le premier écroulement de l’empire byzantin.

La conquête étrangère a quelquefois rajeuni le sang des vaincus, semblable à ces masses planétaires qui devaient, suivant un système ingénieux, alimenter le foyer du soleil. Tel a été le caractère de la conquête de la Chine par les Mantchoux, de celle de l’Angleterre par les Normands. Pour la Grèce, quatre ou cinq fois conquise dans l’espace de quelques siècles, l’asservissement a toujours été sans compensation. La fin du moyen âge fut sans doute une poétique époque. Les chevaliers errans s’y partageaient les empires et donnaient des îles à leurs écuyers. Les princes d’Achaïe, les ducs d’Athènes et les ducs de Naxos, les capitaines de la grande Compagnie Catalane, ont rempli l’Europe du bruit de leurs prouesses. Pendant près de deux cents ans, le souvenir de ces soldats heureux a défrayé les romans de chevalerie et entretenu dans tous les cœurs bien nés une émulation généreuse ; mais pour le bétail humain, qui n’avait d’autre lot que d’illustrer le blason de ses maîtres et de subvenir à la pompe de leurs cours féodales, l’occupation latine ne fut pas un moindre fléau que ne devait l’être le pouvoir des sultans. C’est même à ces temps reculés, à cette époque singulièrement embellie par nos fables, qu’il faut faire remonter la haine si violente que les populations orthodoxes n’ont cessé de montrer envers les catholiques. Percevoir des taxes et bâtir des forteresses, tel fut le principal, sinon l’unique soin des vainqueurs qui dépecèrent le patrimoine des Comnènes. Venise elle-même ne fit pas autre chose tant qu’elle resta maîtresse de l’île de Candie. Lorsqu’en 1685, profitant des embarras de l’empire ottoman et s’appuyant sur l’alliance de l’Allemagne, elle réussit à s’emparer de la Morée, sa politique ne paraît pas avoir eu de meilleures tendances. Aussi la population indigène repassa-t-elle avec une indifférence complète, après trente ans de domination vénitienne, sous le joug dont la sérénissime république avait prétendu la délivrer.

Cette indifférence, qui est la condamnation de la domination latine, ne saurait être en aucune façon l’apologie de la domination