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autographe que lui avait adressée le roi Louis-Philippe. Ne pouvant réussir à la convaincre, le gouverneur prit le parti de l’isoler. Il mit le blocus devant Raiatea, et convoqua sur-le-champ à Papeïti une assemblée où comparut tout ce que Taïti et Morea avaient de sang illustre.

Avec la netteté habituelle de son jugement, le commandant Bruat avait très promptement démêlé le sens des institutions taïtiennes. Purement aristocratiques dans le principe, ces institutions n’étaient devenues féodales que depuis un demi-siècle. La royauté avait affermi son pouvoir en lui donnant pour appui le concours des juges et de la petite noblesse. Elle avait au contraire abaissé autant qu’elle l’avait pu l’influence des principaux chefs. Ce fut cette influence que le gouverneur s’empressa de reconstituer pour l’opposer à celle de la souveraine absente. Quand l’assemblée se trouva réunie, l’orateur du gouvernement lui exposa la situation, fit connaître la résistance opiniâtre de la reine, et demanda l’élection d’un régent. Le choix de l’assemblée, ratifié par le gouverneur, désigna Paraïta, ancien compagnon d’armes du grand roi Pomaré. Le 7 janvier 1845, la régence était proclamée, et le pavillon taïtien, écartelé du drapeau tricolore, emblème de la protection française, flottait, arboré au bruit des salves d’artillerie, sur les deux îles.

Presque au même moment arrivait dans les eaux de Taïti la corvette anglaise le Talbot. Le capitaine Thompson qui la commandait venait, suivant les ordres qu’il avait reçus, reconnaître et saluer le pavillon du protectorat ; mais l’hommage qu’il était prêt à rendre au drapeau de la reine Pomaré, il refusait de l’accorder aux couleurs qui ne représentaient plus à ses yeux que l’autorité usurpée du régent. Cette abstention était le plus dangereux appel qui pût être adressé à la révolte. Le gouverneur n’hésita pas un instant. Il fit déclarer au capitaine du Talbot que toute communication avec la terre lui était interdite. Les abords de la corvette furent gardés par des canots armés qui en défendirent l’approche à toute embarcation venant de terre, et ne permirent à aucun canot anglais de s’approcher du rivage. Devant cette démonstration énergique, le Talbot s’empressa de quitter la rade et de reprendre la route des Sandwich.

Un pareil acte de vigueur devait avoir sur l’esprit des Indiens plus d’effet que n’en auraient eu de nouvelles victoires. Taïti se prit à douter d’un ascendant auquel on nous avait vus si clairement ne pas nous soumettre. La trêve un instant interrompue reprit donc son cours, et pendant près d’un an elle se prolongea, observée des deux parts, sans qu’aucune convention en eût réglé les termes. Les districts soumis aux chefs qui soutenaient