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ouvertement notre cause étaient administrés par le gouvernement du protectorat. Ceux qui prétendaient ne reconnaître que l’autorité de la reine se gouvernaient eux-mêmes sans être inquiétés. Les Indiens des deux partis, tout en évitant de se confondre, entretenaient des relations constantes ; quelques Français même circulaient autour de l’île et traversaient impunément le territoire occupé par l’insurrection.

Cette période de tranquillité relative fut bien employée ; les événemens qui, dans le cours de l’année suivante, vinrent mettre en péril l’existence de la colonie montrèrent à quel point l’activité du gouverneur avait été prudente, et sa prévoyance opportune. Les émouvantes péripéties de la lutte avaient détourné un instant son attention des travaux qui devaient assurer l’établissement de sa petite armée, la conservation des approvisionnemens, la défense des positions militaires. Au mois de mars 1845, la plupart de ces ouvrages n’étaient encore qu’ébauchés ; le gouverneur en pressa l’exécution avec une nouvelle ardeur, dès qu’une pacification momentanée lui eut rendu la libre disposition de ses troupes. Tout devint ouvrier à Taïti, comme tout y avait été soldat. Une machine à vapeur apportée de France fut rapidement montée et distribua bientôt autour d’elle la force et le mouvement. Les ateliers les plus divers prirent racine sur ce sol nouveau. Des carrières s’ouvrirent au flanc des montagnes, le corail enlevé aux récifs de la côte se convertit en ciment ; une vaste manutention, des magasins, des hôpitaux, des casernes, s’élevèrent à la place des baraques de bois, des cases de palmier et de bambou qui avaient d’abord abrité la garnison, les munitions et les vivres. De vastes terrains incultes, des marécages insalubres, se transformèrent en jardins potagers ou en pâturages, des quais s’avanceront assez loin en mer pour permettre aux plus gros navires de commerce d’y débarquer leurs cargaisons. En même temps, les fortifications se rectifiaient, s’étendaient et s’armaient. La ville de Papeïti ne possédait pas encore une enceinte complète ; on s’occupait activement de la mettre, par un long retranchement et par une succession de blockhaus et de redoutes, à l’abri d’une agression venue de l’intérieur, en mesure de repousser une attaque dirigée de la mer. Ces travaux n’étaient pas les seuls qui reçussent l’impulsion d’une initiative aussi infatigable que féconde. Comprenant à merveille que la domination étrangère, sous peine de devenir doublement odieuse, doit autant que possible respecter les anciens usages et enter son pouvoir sur des droits consacrés par une possession séculaire, le gouverneur s’enquérait avec soin des traditions qui avaient fixé le rang et les prérogatives des chefs, des modifications que l’introduction du christianisme avait apportées dans les lois du pays. C’est ainsi qu’il parvint à organiser