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intelligente pour se développer dans tous les sens. On trouve sur le marché de San-Francisco des légumes et des fruits monstrueux, les mêmes que ceux de France ; ils sont le produit naturel d’une terre qui se repose depuis le commencement du monde, et semble avoir a tâche de compenser cette longue inaction. Les femmes d’un certain âge ou stériles sur le sol de la vieille Europe, transplantées en Californie, y deviennent mères et font souche d’une longue lignée ; quels beaux enfans, quelle riche carnation, quelles blondes chevelures et quelle précocité d’action chez ces jeunes hommes qu’anime un sang riche et chaud !

Sur notre parcours, nous rencontrions de belles fermes, de proprettes habitations, d’élégantes maisons de plaisance construites suivant un type architectural que je n’ai vu que là. La maison de campagne californienne tient à la fois du chalet suisse, du cottage anglais et de ce qu’on appelle le style tudor. Pignons de bois découpé ou de pierre taillée avec les ornemens du moyen âge, fenêtres entourées de lianes ou en accolade gothique ; sur le bois un enduit de brai vernissé comme on le voit encore sur les galiotes hollandaises, des briques disposées en dessins symétriques, voilà qui lui donne un aspect nouveau où tout se marie harmonieusement. J’ai remarqué, dans ces vallées heureuses et beaucoup plus peuplées qu’on ne le suppose, une espèce de chêne pleureur de haute venue dont les branches chargées d’un épais feuillage retombent sur le sol avec la flexibilité et la grâce des rameaux de nos saules.

Les montagnes sont la seule limite de ces vallées : elles ont une physionomie pittoresque ; ce sont des mamelons superposés qui s’échelonnent jusqu’à des hauteurs considérables. En longeant la riche vallée de Pétaluma et celle non moins riche de Santa-Rosa, nous avions à notre droite le pic de Santa-Helena, qui s’élève à 4,300 pieds au-dessus du niveau de la mer. Le sommet de ces hauts pics est ordinairement dénudé ; mais les parties moyennes et inférieures en sont agréablement boisées ou revêtues d’une végétation dense d’un vert foncé. Sur d’autres points, l’horizon présente une ligne festonnée couverte de gigantesques sapins, dont quelques-uns, isolés, se profilent sur l’horizon comme des colonnes de verdure ; plus loin une série de roches onduleuses dessinent leurs vives arêtes sur un ciel toujours pur. À cette époque de l’année, il n’y a pas de pluie à redouter, et bien rarement quelques légères vapeurs apparaissent au sommet des monts. Derrière ces pics boisés ou dénudés resplendissent des couchers de soleil aux couleurs magiques, des foyers de. lumière éblouissante auxquels succèdent des teintes violacées remplies d’une douce et délicieuse poésie.

Il allait être huit heures du soir quand nous arrivâmes sans